Jacques Morin lit pour Poesibao “seul en son bois, dressé noir”, le dernier livre de la poète Mary-Laure Zoss.
On retrouve le style râpeux, rêche, ras de Mary-Laure Zoss, une façon de distribuer ses éléments verbaux, mêlant la concision et un langage pointu. La page est généralement découpée en trois strophes ou paragraphes, la ponctuation (virgules et points-virgules) met tout apparemment sur le même plan, sur le même ton. Pas de majuscule. Rares points d’interrogation. C’est d’abord cette uniformité apparente qui frappe le plus.
Avant l’obstination des mots et l’insistance du sens qui demeure dans un segment très étroit ; ici, il s’agit du domaine des arbres, mais moins dans leur magnificence, ce qui se lit habituellement, que dans leur vieillissement, leur dégradation, mélangés à la nature âpre qui les entoure, tourbières ou landes, davantage racine que canopée, même les oiseaux montrent une relative indifférence. D’ailleurs, il n’y a guère de sentiment ; on cherche à dire ce qui est, exprimer froidement l’état concret des choses. Seul quelquefois, le mot inquiétude, effroi ou angoisse surgit de manière presque inattendue.
S’insinuent également des glissements subtils comme des correspondances avec le texte lui-même lorsqu’il est question de phrase, de poignée de consonnes, de modulation de voyelles ouvertes, de désinences perdues et de syllabes inaudibles ou encore de chuchotement de papier. Mais la plupart du temps, on reste dans la description fouillée, objective du réel avec de rares métaphores aux allures métalliques par exemple comme
lunes ferrées
ou bien
soleils de terre cuite que cercle un matin de mars ;…
Il s’agit donc de la forêt, on parle de frênes, de hêtres et de chênes… mais plus souvent sous la forme fûts sciés ou chablis. Il est question comme dans un logis naturel ici de
l’austère penderie des résineux
et là
de buanderies forestières.
Lecteur, on n’est pas toujours sûr de son fait. Les phrases souvent déconstruites, démembrées, à l’image des forêts observées, si elles font bien état d’un certain pourrissement, d’une déliquescence avouée, semblent mener parfois à l’égarement Ainsi le titre en deux tronçons paraît amalgamer deux sections de texte. D’abord seul en son bois, il s’agit de l’arbre sans aucun doute, dans sa matière propre et essentielle,
n’étant plus bon désormais qu’au tranchant des scies ou aux dents de coupe
dit la suite de la strophe ; ensuite dressé noir, extrait ultérieur, semble parler du même mais dans un état plus désintégré. On évolue dans l’avancement de la détérioration. Titre qui confirme que Mary-Laure Zoss s’intéresse surtout à l’aspect délabré de l’espèce entre déchéance et ruine.
Jacques Morin
Mary-Laure Zoss, Seul en son bois, dressé noir, Fario, 2022, 76 p., 15,50€.
(Œuvres de Farhad Ostovani)
On peut lire aussi sur le site cette note d’Antoine Bertot
Extrait page 19
en un temps devenu trop visible, qu’on scrute – n’y pas demeurer surtout ; saturé de bois mort, de fibrilles qu’on voudrait ne pas voir sous peine de ; qui sans cesse affleure et transmue, encore si on pouvait le recouvrir, ou se le déguiser ;
acheminé de l’intérieur, et que la langue éreinte ; toute une nomenclature à remanier, qui se plaît à anticiper la dépouille, à l’exhiber, chargée de tavelures ou d’ulcères ;
aussi longtemps que nous ne serons pas de taille à vouloir ce qui arrive, à faire de la perte une terre arable – surgi de sous les pierres parmi peignes brunâtres et rachis, un vert acide, sous les noisetiers la première volute à se dérouler d’une fougère