Vladimir Nabokov, Cahier de l’Herne, lu par Isabelle Baladine Howald


Isabelle Baladine Howald feuillette pour les lecteurs de Poesibao le Cahier de Herne consacré à Vladimir Nabokov, l’homme aux papillons.


 

L’Herne Nabokov, sous la direction de Laurence Tâcu, cahier dirigé par Yannicke Chupin et Monica Manolescu, Editions de l’Herne, 2023, 271 p, 33 €.


L’homme aux papillons

Les éditions de l’Herne viennent de publier un Cahier Nabokov.
Comme toujours l’ensemble est construit entre fragments biographiques, inédits, analyses, correspondances, lectures critiques, qui montrent un Nabokov extrêmement vivant, lecteur de son temps qui n’a pas la langue dans sa poche, connait sa propre valeur sans jamais prendre la pose du « grand écrivain », met les points sur les i quant au régime soviétique comme quant à Lolita, et n’aime rien tant que la chasse aux papillons, comme on le sait.

Quand je vois une photo de Nabokov (1899-1977), il me rappelle toujours quelqu’un.
Sur le bandeau du Cahier, facétieux, un zeste désabusé avec une image de papillon à la main, déjà loin du jeune homme tout mince de sa jeunesse. Plus âgé, de trois quarts, ça y est, j’ai trouvé, quelque chose de Musil ou de Bernhard, en moins sérieux. Enfin, en short et torse nu courant dans les rochers derrière un de ses lépidoptères légendaires. Décidément lui-même et inimitable.
Son humour que je qualifierais de vert pour sa fraîcheur et son acidité affleure dans son regard comme dans ses réponses aux interviews, savoureuses. On connaît son goût du jeu, échecs ou Scrabble, mails il aimait tout autant dire des blagues. Une grande gentillesse apparaît quand on lit ses lettres à ses parents ou à sa gouvernante. D’autres correspondances, dont celle avec Robbe-Grillet dont il est proche, Jean Paulhan, Kubrick et Hitchcock concernent les projets professionnels.
Trente-quatre rêves notés par Nabokov sont également publiés ici, son inconscient est toujours en pleine activité, et hanté par ses origines russes.
Ce qui transparaît en effet constamment dans les textes c’est cette observation constante des détails et l’usage qu’il en fait dans son écriture, que ce soit en anglais ou en français. Le russe reste au fond de lui, essentiel mais appartenant à l’enfance, au plus intime, à l’assassinat de son père. « toute la Russie dont j’ai besoin ne me quitte pas un instant : la littérature, la langue et ma propre enfance russe » cite Tatiana Victoroff. A cet égard au moins, Nabokov est unique, écrivant en anglais dès 1939.
Le texte de 

sur l’exil est vraiment très beau et celui de Denis Podalydès sur Ada, ce livre fabuleux, est bouleversant.
Cet écrivain merveilleux trouve ici une plus juste place que dans la seule réputation scandaleuse de l’auteur de Lolita, qui repose sur un malentendu qu’il a souvent signalé.

Sont publiés parallèlement des souvenirs de Vera Nabokov L’ouragan Lolita (Journal 1958-1959), où l’épouse de Nabokov qui n’a jamais voulu apparaître nulle part, note deux ans de furie médiatique suite à la parution du roman.
Pas de malentendu pour elle, elle a très bien compris le sujet, l’obsession mortifère d’Humbert-Humbert pour cette toute jeune fille à qui il fait subir un calvaire au moment de sa sortie de la chrysalide de l’enfance, au moment où justement il ne faut toucher à rien de cette métamorphose sinon tout est saccagé et Lolita le sera. Qu’il l’aime ne change rien à la question. Qu’elle soit attirante ne change rien à la question. Nabokov a écrit un roman d’une tristesse infinie pour les deux protagonistes. Cette période fut pour eux deux un « ouragan » qu’elle observe non sans malice.
Quelques lecteurs et lectrices ont bien saisi le sens de Lolita, plus encore ces dernières années, justement dans la période que nous connaissons des dénonciations justifiées, on ne le dira jamais assez. Le dossier Lolita de la fin du Cahier en atteste, avec notamment les textes de Vanessa Springora et de Azar Nafisi. Mais le Cahier insiste bien sur toutes les dimensions de Nabokov et c’est vraiment lui rendre justice.
Celui qui mettait son nom en petit sur la maquette de ses livres ou signait d’un papillon mérite bien cette promenade.


Isabelle Baladine Howald


L’Herne Nabokov, sous la direction de Laurence Tâcu, cahier dirigé par Yannicke Chupin et Monica Manolescu, Editions de l’Herne, 2023, 271 p, 33 €