Poesibao rend compte d’un voyage à Villers-Cotterêts, cadre parfaitement bien choisi pour y présenter un nouveau volume de la Pléiade.
Photo de gauche, de gauche à droite Hugues Pradier, Mireille Huchon et Antoine Gallimard.
Photo de droite, le tout nouveau volume de la Bibliothèque de la Pléiade, « La Pléiade, Poésie, poétique »
Poesibao était invité ce jeudi 25 avril 2024 par Gallimard et la bibliothèque de la Pléiade à la présentation d’un nouveau volume de la célèbre bibliothèque (le 671ème !) : La Pléiade, poésie, poétique, édition de Mireille Huchon. Voyage en train jusqu’à la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts inaugurée en octobre 2023. En fin de matinée, dans l’auditorium, conférence de présentation du livre par Antoine Gallimard, Mireille Huchon et Hugues Pradier, directeur de la Bibliothèque de la Pléiade. Puis l’après-midi visite de la Cité, introduite par son directeur Paul Rondin.
Je vais rendre compte de cette journée en deux temps et deux articles. L’un sur la présentation du volume de La Pléiade sur la Pléiade, le second sur la Cité internationale de la langue française.
Avec la Pléiade, pour la Pléiade
Dans une courte introduction, Antoine Gallimard rappelle l’histoire de la Bibliothèque de la Pléiade, sa fondation par Jacques Schiffrin en 1931, avec un premier volume conçu avec le fameux papier bible et dédié à Baudelaire ; puis rachat en 1933 par Gallimard.
On entre dans le vif du sujet à propos de ce six cent soixante et onzième volume de la Bibliothèque : La Pléiade, Poésie et poétique.
Ce n’est pas la première fois que la Bibliothèque publie des poètes de ce XVIème siècle. Un premier volume Ronsard en 1938, une anthologie des poètes du XVIème siècle en 1953. On évoque aussi un LP (disque) de 1961 avec une anthologie sonore de la Pléiade.
Mais ici l’approche va être tout à fait nouvelle au point que Hugues Pradier, historien médiéviste et directeur de la Bibliothèque pourra dire qu’un tel volume ne s’est encore jamais fait, associant ainsi la poésie, la poétique et le contexte (avec les polémiques)
De gauche à droite, Antoine Gallimard, Mireille Huchon, Hugues Pradier
Plutôt un terme rétrospectif
En cette décennie de la Pléiade, 1547-1559, ils sont plusieurs à s’illustrer par leur poésie et aussi par leur œuvre en français. L’édit de Villers-Cotterêts qui institue la langue française comme langue officielle date de 1539.
Et c’est sans doute la raison pour laquelle le livre ouvre magistralement, après un premier choix de poètes de la Pléiade (Peletier du Mans, Du Bellay et Ronsard) par La Deffence, et illustration le la langue française, de Joachim du Bellay, qui date de 1549-1550. Cette place est aussi due au parti pris chronologique : les auteurs ne sont pas abordés l’un après l’autre, mais ce sont leurs œuvres qui se déroulent dans le temps.
Le groupe que l’on appelle La Pléiade, de manière presque fantasmée ira jusqu’à dire Hugues Pradier, connaîtra différentes configurations. Principales figures : Pierre de Ronsard, Joachim Du Bellay, Jean-Antoine de Baïf, Guillaume Des Autels, Etienne Jodelle, Jean de la Péruse, Pontus de Tyard, Rémi Belleau, Jacques Peletier du Mans (présents dans la section I « Les Poètes de la Pléiade ») ; puis de nouveau Jacques Peletier du Mans, Thomas Sébillet, Le Quintil horatian et Antoine Foclin dans la section II, « Poétique ».
Comme toujours avec la Bibliothèque de la Pléiade, on a affaire à une édition ambitieuse, érudite mais qui se veut néanmoins accessible à un public de bons lecteurs. Et plus de 1500 pages vont s’employer à l’édifier, l’instruire, le charmer, le divertir !
Trois grandes parties
L’ouvrage est divisé en trois grandes partie. La partie « Les Poètes de la Pléiade, 1547-1560 » se taille la part du lion sur environ les deux tiers du livre, mais elle est complétée par deux autres sections bien intéressantes. L’une consacrée aux questions de poétique (« Poétique 1545-1555), l’autre à tout le contexte, et notamment à toutes les polémiques qui agitèrent les milieux littéraires (et aussi politiques) en ces années qui recouvrent le règne d’ Henri II, assez peu sensible à la poésie mais en présence de Marguerite, sœur d’Henri II et future Marguerite de Savoie.
La Pléiade ne survivra pas d’ailleurs au règne de Henri II mort en 1559, à la mort de Du Bellay (1560) et au départ de Marguerite. La décennie où elle a fleuri est exceptionnelle tant dans l’histoire de la poétique que dans l’histoire du français. Ce volume en rend compte en donnant à lire des pièces poétiques célèbres ou mal connues, en faisant revivre les débats poétiques et linguistiques de l’époque et en laissant même une place aux réactions parfois rudes des contemporains.
Nombre de « premiers moments »
C’est aussi une époque de nombreuses « premières », rappelleront Mireille Huchon et Hugues Pradier qui feront vivre toute cette conférence par leur brillant et joyeux dialogue. Première grammaire du français, premier dictionnaire français-latin en 1539 avec une nouvelle édition en 1549 qui ajoutera plus de 5000 entrées, qui montrent l’enrichissement prodigieux de la langue à ce moment-là. Première tragédie à l’antique de Jodelle, premier recueil de sonnets en français, L’Olive de Joachim du Bellay (auparavant les seuls Sonnets publiés étaient des traductions de Pétrarque). Premiers arts poétiques avec en particulier Pontus de Tyard qui traduit Horace et l’approprie au français. Thomas Sébillet donne en 1548 le premier art poétique français et La Rhétorique d’Antoine Foclin fonde en 1555 la rhétorique française, en un ouvrage qui constitue en fait, par ses citations, une première anthologie des poètes de la Pléiade.
C’est donc un moment clé de l’histoire de la langue, de sa codification et pour les poètes qui y jouent un rôle majeur.
Le livre
Il rassemble des extraits de cinquante-et-un livres, avec chacun une notice. Il offre des textes très connus mais aussi bien d’autres à découvrir, de nombreuses « pièces d’échange » très instructives (dédicaces), en un vrai portrait de groupe (sans beaucoup de dames, il faut bien le dire !) sur douze à quinze ans, en ordre chronologique, dominé par la rivalité/amitié entre Ronsard et Du Bellay
En conclusion voici le lecteur français en possession d’une sorte de vue en coupe d’une décennie prodigieuse, traitée chronologiquement avec ses deux axes poésie et poétique, en une conception très travaillée, intelligente et non-conventionnelle, qui l’instruira autant de la langue française que de la poésie du XVIème siècle.
Florence Trocmé, Poesibao
Photos ©florence trocmé, 2024