Pierre Gondran dit Remoux, « Réa », lu par Christophe Esnault


Christophe Esnault entraîne ici le lecteur de Poesibao à l’intérieur de ce livre « Réa » qu’il présente comme un texte urgent.


 

Pierre Gondran dit Remoux, Réa, L’éclat poésie poche, 2023, 63 pages, 5 euros



Inventer une forme pour archiver (congédier) la douleur




« Comment nous attarder à des livres auxquels, sensiblement, l’auteur n’a pas été contraint. »
Georges Bataille




On pourrait décrire le dispositif de Réa, ce que l’éditeur fait très bien sur le site des Édition de l’éclat, ou synthétiser la présentation de la structure et proposer une notule efficace, ce qu’on lit sur Chronique ta malle, le blog critique de Patrice Maltaverne. Je ne vous dévoilerai donc pas cette forme et opterai seulement, une fois encore, pour une note de biais, nourrie par ses extensions et notamment par les questions que me pose cet ensemble poétique. Il me semble d’importance de qualifier Réa « un texte urgent », et de l’inscrire dans cette nécessité pour l’auteur d’écrire le texte, d’y être contraint. Le poète n’écrit pas pendant la phase de douleur, pendant l’épreuve, ce moment long où il est en très mauvaise posture et où il n’a que cesse d’en sortir, et, je crois, pour en sortir. Pour peut-être archiver la douleur (ou savoir la congédier), après l’épisode traumatique, Pierre Gondran dit Remoux trouve une forme, puis transforme, opère une métamorphose, des retouches, une réécriture. Reprendre la main sur son histoire et s’en détacher, après y avoir été rivé comme un scarabée sur une planche de carton. Les césures du texte sont-elles signifiantes, esthétisantes, visuelles et sonores ? Sur quels mondes ouvrent ces textes-fenêtres ? Est-ce une ouverture dans la cellule (l’espace clos de l’immobilité) ? L’auteur réécrit-t-il chaque jour ? Se justifie-t-il d’écrire ? D’être là, vivant ? Puis une régularité formelle, le retour à une respiration-renaissance, éclate comme un bourgeon au printemps, très naturellement. L’enfance et la nature. Renaître ou revivre ? Quelle issue saurez-vous construire et emprunter lorsque la prochaine douleur viendra s’installer durablement ? Dans Douleurs Exquises, Sophie Calle inventait elle aussi. Elle installait avec une série de photographies et en compte à rebours, les avants de la douleur, l’histoire de la douleur, puis elle demandait à des personnes de témoigner. « Quand avez-vous le plus souffert ? ». Un livre (et un soin) à offrir à vos proches s’ils traversent une zone de perturbation psychique, après une rupture amoureuse en particulier, ou confrontés à un choc violent. Chacun devra créer avec la matière de la douleur. Donner sens. Ensuite, pouvoir passer à autre chose. Il m’a traversé l’esprit, sans que je m’y engouffre, heureusement, que cet épisode à l’hôpital vécu par l’auteur, j’aurais préféré être mort que de devoir le vivre. Mais ni mon corps ni mon esprit n’a été piégé par ce texte. Le poète ne nous refile pas son enfer, il nous parle de notre monde intérieur et aussi de notre propre histoire. Ses « fenêtres » donnent sur nos vies, et aussi sur ce qu’elles contiennent de merveilleux, mais on ne le découvre pas immédiatement. L’expérience de lecture se diffuse, et le livre se lit mieux quelques jours (ou quelques semaines) après sa première lecture. Parce qu’il nous parle aussi du temps, un grand thème en littérature et en philosophie.  

Christophe Esnault

Pierre Gondran dit Remoux, « Réa », L’éclat poésie poche, 2023, 63 pages, 5 euros.