« Montagnes, chemins d’écritures », anthologie conçue par Jean-Pierre Chambon, lue par Jean-Claude Leroy


Jean-Claude Leroy se penche ici sur une riche anthologie conçue par Jean-Pierre Chambon et  dédiée au thème de la montagne.


 

Montagnes, chemins d’écritures, anthologie conçue par Jean-Pierre Chambon, éditions Voix d’encre, 196 p, 2023, 24 €.


« La montagne, sur la page, est une ligne sortie du vide. »
Camille Mandaroux


C’est un fort volume de belle allure, une anthologie conçue par Jean-Pierre Chambon, sur une proposition de la Maison de la poésie Rhône-Alpes et publiée par les éditions Voix d’Encre.
Montagnes, chemins d’écritures en est le titre, le thème, l’invitation, la stimulation. Une cinquantaine de poètes s’y trouvent réunis, et une dizaine d’artistes en assurent l’iconographie. Poètes et artistes, tous bien vivants, heureux livre au présent.

Le risque d’une anthologie thématique, avec autant de textes plus ou moins « commandés », réside sans doute dans l’inévitable redondance de termes spécifiques ou d’images, ou même de références, la distinction devant bien sûr passer par l’écriture proprement dite, l’humeur, la tonalité, le parti pris ou repris. L’ouvrage n’échappe pas tout à fait à cet inconvénient, du moins si on l’envisage trop furtivement, car il suffit de s’attarder dans les textes, comme il se doit, pour en saisir de chacun la singularité, de se glisser dans les pages et les entendre pour leur faire hausser la voix.
Les plumes avérées ne manquent pas, des plus fameuses parmi les contemporaines, on y trouve ainsi, pour en citer certaines : Jacques Ancet, Joël Bastard, Yves Bergeret, Anne-Lise Blanchard, Lionel Bourg, Antoine Choplin, Pierre Dhainaut, Sylvie Fabre G., Cécile Oumhani, Régis Roux, Jeanine Salesse, André Velter, Joël Vernet. Sans compter Jean-Pierre Chambon, lui-même, et plusieurs dizaines d’autres dont les noms sont moins familiers, sinon inconnus, à l’ignorant que je reste.
La qualité comme la surprise constitue l’intérêt d’un tel ensemble, et j’irai là picorer plus volontiers parmi les auteurs que je ne connaissais pas, afin de les partager dans un même mouvement de découverte et de transmission. Outre Camille Mandaroux, perchée en exergue, en voici trois :

Traductrice de la langue albanaise, Élisabeth Chabuel travaille sur la mémoire de la guerre, de l’exil et du temps, elle donne un poème documentaire qui nous rapporte un portrait par lambeaux d’une famille ancrée dans un rude paysage de neige (ici le mot occitan : « burle ») où la guerre est passée, a laissé des traces (restes d’obus). Écrit à la première personne, on entend la voix témoin qu’Élisabeth Chabuel nous restitue dans le poème, situant des personnages qui n’ont rien de fictif dans la crudité d’une réalité imparable.

[…]
La neige a entièrement couvert les pantoufles grises
Les boules rouges du sorbier percent le grésil
L’ombre du grand-père attend
derrière les carreaux de la chambre
[p. 47]

Pasquale Otavi est un poète de langue corse, né en 1956, auteur de nombreux livres à caractère scientifique et pédagogique. Sa poésie a été traduite en français et en italien. Occasion de lire une langue sans doute trop confinée à sa région, tandis que c’est un grand plaisir d’ouïr le chant des pays les plus voisins.

Tramachju

Ingutuppatu
da a neve
u me paese
tramachju
incertu
di vita
arrrappacatu
à a muntagna
disvitata

Vapeur

Emmitouflé
sous la neige
mon village
vapeur
de vie
incertaine
accrochée
à la montagne
exsangue  [p. 128]

 

 


Livane Pinet a étudié les rapports entre poésie et peinture, a publié un roman et un essai sur Yves Bonnefoy, ainsi que des livres de poésie. Elle est aussi traductrice de l’anglais. Alors que Jean-Pierre Chambon, dans son introduction, nous rappelle que « la situation de la montagne n’est pas idyllique en cette époque de surchauffe », Livane Pinet propose ici un long et douloureux Poème dédié aux soulèvements de la terre dont voici le début :

Épine dorsale d’un grand corps malade
en toi on a creusé et creusé extrait
de tes plis et replis multimillénaires
la pierre tombale de ta naissance jamais achevée

On a creusé on creuse on creusera
jusqu’au bout du tunnel dont jamais lumière
ne sortira on creuse on creusera
à la bombe on creusera même atomique
on creusera on creusera notre tombe

Creuser est dans nos gènes qui
nous en empêcherait ? Creusons creusons
notre tombe atomique se trouve dans une étoile
où il n’y a pas de bêtes pas d’insectes pas d’oiseaux
pas l’ombre d’un arbre pas la tige d’une fleur

[…] [p. 138]

Grande diversité dans l’iconographie où des techniques diverses sont présentées par des artistes qui ont quasiment tous un lien étroit avec la région, pour y être nés ou s’y être installés. Parmi eux Gilles Balmet, Paule Riché, Cécile Beaupère.

Poètes et artistes sont présentés par une notice de quelques lignes, j’y ai puisé sans vergogne pour cette présentation par trop succincte. Occasion, cette anthologie thématique, de se rendre compte de la richesse poétique d’aujourd’hui, par des choix ne sacrifiant ni aux modes, ni à la facilité.


Montagnes, chemins d’écritures
, anthologie conçue par Jean-Pierre Chambon, éditions Voix d’encre, 196 p, 2023, 24 €.