Marc Dugardin, “Dans la solitude inachevée”, lu par Jean-Claude Leroy


Jean-Claude Leroy invite ici pour Poesibao à la traversée de “la chanson douce et pourtant diablement coupante” de Marc Dugardin


 

Marc Dugardin, Dans la solitude inachevée, éditions Rougerie, 2023, 84 p. 13 €.


Un havre lové que ce recueil, chanson douce et pourtant diablement coupante d’un poète qui n’a plus à se débattre, préférant énoncer le fil du temps oublié dans la barbe des existences. Plutôt rare, une poésie d’une telle limpidité, une écriture qui coule autant de source, comme pour nous confier des secrets sans importance, qui en ont pourtant beaucoup. Secrets que nous aurions déjà percés, peut-être, mais sans en deviner les mêmes contours, car chacun a sa vision propre des couleurs et des valeurs et il faut savoir les confronter pour qu’apparaissent les lignes.

Être au monde est une tâche, un labeur, autant qu’une situation, et il y a aussi, qui peut nous faire crier : « la joie / d’être atteints / en plein cœur ».

Rien de désinvolte ici, au contraire, tout y est ancré dans la gravité d’une époque sourde et amnésique, ainsi la mémoire que l’on a des musiques et des musiciens enseigne-t-elle la vie comme elle la transmet, partition ou poème aidant. Marc Dugardin est un mélomane avisé, sensible, et il choisit de se souvenir de quatre compositeurs d’abord résidents du ghetto de Theresienstadt puis déportés à Auschwitz en octobre 1944, où ils moururent. Les noms d’Hans Krása, Viktor Ullmann, Gideon Klein, Pavel Haas sont ainsi remis en lumière, c’est aussi le rôle du poète que de rallumer les mots, comme les vies. Et l’ombre de Paul Celan veille et trouve écho : « contre le lait noir / le lait blanc / blanc comme la bonté / dans les mains des enfants// […] »

Quelques pages autour d’un thème de Joë Bousquet, à propos d’un silence d’où l’on voudrait traduire quelque chose. L’auteur nous décrit le passeur entre ses deux rives : « Écrire fait entendre une vibration. C’est une corde qu’il tend au-dessus du vide. Inutile de répéter le mot silence si l’on reste sourd à cette vibration. » On le perçoit, en équilibre, dans la fragilité des secondes qui passent, l’une après l’autre, sans jamais se recouvrir.

Le recueil se clôt sur une très belle (petite) suite lyrique, sa lecture est heureuse, matinée de vrai printemps. Il y est, là, question d’une « amnistie du cœur », ici, du vertige d’être « non mort ». Et enfin « c’est tout ce qu’il peut dire / le reste de sa parole / est ce qui manque à sa parole »

Jean-Claude Leroy

Marc Dugardin, Dans la solitude inachevée, éditions Rougerie, 2023, 84 p. 13 €.


peut-être que pour les grands
c’est un long corridor

ou une rue qui file
entre ses briques

au bout une porte
on frappe
un coup
encore un coup
on frappe
encore

on a frappé
on est frappé

on est le mort
ou le vivant
qui se tient de l’autre côté