Alexis Pelletier explore les trois grandes parties du livre de Marc Blanchet, “Suites et fins”, paru aux Éditions Le Cormier.
Marc Blanchet, Suites et fins, Le Cormier, 112 pages, 16€
On voyait déjà / la mort fleurir
Le titre de l’ouvrage de Marc Blanchet est évidemment polysémique : Suites et fins. Se superposent un sens premier qui renvoie presque dramatiquement à l’expression notée au singulier – la suite et la fin (d’un projet, d’une action, d’un récit, d’une vie, etc.) – et un sens second qui joue de la dimension musicale du premier substantif et de l’hésitation entre le but et le terme ou l’arrêt de quelque chose pour le second. Cette polysémie se distribue dans trois parties « Frères », « Forteresse » et « Roses ». Et l’on voit tout de suite que le pluriel encadre le singulier et que le trajet se fait entre les trois termes du masculin au féminin, trois termes qui pourraient définir de manière très subtile une leçon de vie jusqu’à son terme, sans jamais l’imposer. Et l’on est happé par la lecture.
« Frères » se lit comme une sorte d’épître – au sens presque biblique du terme. L’adresse « Frères » revient six fois en trente-six pages et elle est suivie de ce qui se donne à lire comme des intentions multiples : « Frères, / des années après / je vous dépose / comme figures / sur la nappe d’enfance. » (p.9), « Frères, / chaque automne / l’un d’entre vous prononçait ses adieux. » (p.12), « Frères, / vous voici tendus / comme cordes sur la nappe. » (p.15), « Frères, / je redresse / votre dos de papier » (p.22), « Frères, / partez avec votre solitude sur le dos. » (p.26), « Frères, / vous chutez / un / à / un / et / j’avoue / jou / ir / en ce jour / anodin. » (p.33) et l’ultime avec une variante « Ô frères, / cette nuit, / vous me parliez / de l’endroit même / d’où j’éloigne vos ombres » (p.42). Les lectrices et lecteurs s’interrogent donc sur le statut de ces frères comme s’il fallait se demander de quel côté de la vie, ils parlent ou plutôt ils parlaient. Ils semblent avoir structuré si ce n’est la vie de Marc Blanchet, du moins une tension vers l’écriture, tension faite de violence, de séparation et d’acharnement à oublier. En ce sens, c’est contre eux que tout semble se donner, dans la répétition même du geste de l’écrit, voire de sa geste, portée par un vers libre le plus souvent court et très ciselé. La partie s’achève d’ailleurs sur une sorte de gros plans sur les mains de celui qui écrit et qui, de s’être libérées de ces frères, sont devenues « Si claires, que tout se met à parler » (p.44) : c’est à la fois une fin mais aussi l’annonce d’une suite.
Dans la deuxième partie, « Forteresse », le « je » a totalement disparu. Il ne reviendra que très furtivement dans « Roses ». Avec cette disparition, il n’y a plus d’adresse, plus d’épître mais une manière de se confronter au réel, c’est-à-dire à ce que les mots peinent à nommer. Ces mots sont la « forteresse » (p.47) et ils entraînent dans l’étrange, dans quelque chose qui tient d’une improvisation face à au réel, avec la volonté de concentrer le sens. Apparaît une figure masculine à la troisième personne du singulier qui est l’autre et qui peut-être soi dans son énigme, dans ses joies, sa douleur et sa solitude : « Aucune matière / ne le résume. // Les fenêtres ne se brisent pas. » La négation dit bien une fin en même temps que l’impossibilité de celle-ci. C’est donc une sorte de variation musicale sur le titre.
Les « Roses » de la dernière partie concentrent d’une autre façon le sens de ce titre. Elles se suivent dans l’injonction qui ouvre le poème – « Regarde les roses » (p.67) – qui tient de la comptine et qui ne se limite pas à jouer sur l’aspect éphémère de la vie. L’injonction en effet revient, établit un dialogue entre le « tu » et le « je », ce dernier affirmant justement : « J’aimerais taire l’injonction. » (p.74), tandis que les roses deviennent celles qui accompagnent la mort : « On porte les roses / dans la dernière demeure. » (p.76). Et le poème de nommer le passage du temps, la fragilité voire l’illusion du face à face de la communauté à la mort, tandis qu’un an après – le temps ancien de la durée du deuil, peut-être – les roses, « Dans le jardin, / elles se tiennent droites ‑ / et c’est ailleurs. » (p.102). L’injonction peut recommencer. La fin s’appelle la reprise, au sens musical. Il y a donc bien plusieurs suites.
Alexis Pelletier
Marc Blanchet, Suites et fins, Le Cormier, 112 pages, 16€
On peut lire ici des extraits du livre