Les ardoises de Franck André Jamme, présentées par Nicolas Pesquès

Franck André Jamme (1947−2020), le dernier été qu’il lui restait à vivre, avait réalisé 28 ardoises, 21 en français et 7 en anglais, ensemble « testamentaire » que présente ici Nicolas Pesquès. Vianney Lacombe présente ici ce très beau livre.



Les éditions Isabelle Sauvage viennent de faire paraître un essai de Nicolas Pesquès consacré aux Ardoises de Franck André Jamme dans lequel il rend hommage au travail de ce poète décédé en 2020. Ces ardoises reproduites en couleur montrent comment Franck André Jamme traçait ses poèmes avec du TipEx blanc sur une ardoise d’écolier, afin que les mots du poème forment un rectangle à l’intérieur de l’ardoise, un rectangle de mots illisibles, enchaînés puis coupés par la césure du rectangle dans lequel le poème était déposé devant les yeux du lecteur. Très lentement, celui-ci apprenait à lire, à démêler les mots, à introduire l’espace dans ces phrases soudées qui se révélaient peu à peu chargées d’une énergie que l’ardoise comprimait avant de nous mieux la faire comprendre, lorsque nous apprenions à lire ces mots comme s’ils avaient été écrits avec une encre sympathique portée à la lumière de notre compréhension soudaine. Mais le poème, une fois déchiffré, gardait cependant cette magie, comme si le sens n’était qu’un accident de cette mystérieuse présence. Et le poème vivait ainsi par-dessus l’abîme de la compréhension, et chaque fois que nous l’effleurions, il résonnait dans un lointain perdu mais accessible dans sa prononciation.
Ainsi 38 ardoises énoncent devant nous les paroles du poème qui rejoignent le poème plastique, l’économie suprême du peintre Morandi qui, lui aussi, dans un air raréfié découpait la mystérieuse présence de l’objet dans le spectacle du monde.

Nicolas Pesquès, Les Ardoises de Franck André Jamme, postface d’Isabelle Sauvage, 85 p., dont 38 reproductions couleur, Editions Isabelle Sauvage, 2022, 25€.

Nicolas Pesquès nous appelle dans son texte à regarder les ardoises du poète, à nous recueillir devant ces stèles, ces tablettes qui sont à l’origine des ardoises de Franck André Jamme, lorsqu’au début des années 2000 il invente une nouvelle forme d’écriture, dans laquelle la destruction puis la reconstruction du visible du poème s’inscrit d’abord sur du papier, puis des miroirs, et enfin sur les ardoises reproduites dans ce livre. Nicolas Pesquès nous montre comment le travail du poète se rend d’abord méconnaissable dans la structure du rectangle quadrillé de l’ardoise qui semble rassembler un jeu de lettres hasardeux écrit en capitales, qui nous requiert cependant par l’énigme qu’il propose et que nous cherchons à éclaircir comme un texte disparu qui nous serait présenté à nouveau après un gigantesque oubli : alors l’introduction de vides entre ces mots éclaire un sens qui bascule à chaque extrémité de ligne jusqu’à la chute finale du poème qui ne nous laisse d’autre choix que de recommencer à le lire.

Ceci est éclairé pour nous par le texte de Nicolas Pesquès, écrit en automne 2020, peu près la disparition de Franck André Jamme, dans lequel il rend hommage à l’homme, à l’ami, au considérable poète des Ardoises.

Vianney Lacombe


Nicolas Pesquès, Les Ardoises de Franck André Jamme, postface d’Isabelle Sauvage, 85 p., dont 38 reproductions couleur, Editions Isabelle Sauvage, 2022, 25€.