La mort d’Eugen Gomringer (III, 5, Disparitions)


Poesibao a appris avec regret la disparition, le 21 août 2025, d’un des fondateurs de la poésie concrète, Eugen Gomringer.


 

Le poète Eugen Gomringer est décédé le 21 août dernier à Bamberg, dans le nord de la Bavière. Il était centenaire, puisqu’il avait vu le jour en janvier 2025 dans la localité bolivienne de Cachuela Esperanza, d’une mère bolivienne et d’un père suisse. C’était un des écrivains de langue allemande les plus importants du XXe siècle et on le considère généralement comme le fondateur de la poésie concrète, ce courant international représenté en France en particulier par le spatialisme de ses amis Ilse et Pierre Garnier.

Il vécut son enfance et sa jeunesse en Suisse et fit ses débuts poétiques en publiant, à Berne, en 1953, konstellationen, et, deux ans plus tard, à Baden-Baden, le manifeste vom vers zur konkreten poesie. En 1959 il fonde, en Suisse, la maison d’édition Eugen Gomringen Press, où furent publiés nombre de manifestes d’avant-garde et de livres de poésie concrète. De 1977 à 1990 il est professeur d’esthétique à l’Académie des beaux-arts de Düsseldorf, capitale de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

Installé à Rehau, une petite ville du nord de la Bavière, il fonde en 2000 l’ikkp (institut für konkrete kunst und poesie) où se succèderont de nombreuses expositions et rencontres. Sa notoriété est grande, les pays de langue allemande étant beaucoup plus impliqués que la France dans la peinture, la sculpture et la poésie concrètes, et d’importants colloques et symposiums continuent d’y avoir lieu.

Malheureusement, les dernières années d’Eugen Gomringen furent assombries par de sordides vexations. Le vieil homme se raidit et se défendit vaillamment.

Les faits, qui se passent de commentaire.
Tout d’abord l’affaire « avenidas ». Il s’agit d’un poème en espagnol écrit par Gomringer en 1953. A partir de 2011 on peut le lire sur la façade de la Alice-Salomon-Hochschule à Berlin. Mais cinq ans plus tard des étudiants se déclarent choqués par la dernière ligne du texte : « des avenues, des fleurs, des femmes et un admirateur ». Ils exigent son effacement, le jugeant « patriarcal » et « rappelant le harcèlement sexuel auquel les femmes sont quotidiennement exposées ». En conséquence, le poème est recouvert de peinture. Cette affaire déclenche de violentes controverses dont on parla, c’est dire, jusqu’en France ! dans les colonnes du journal Le Monde… Gomringer, alors âgé de quatre-vingt-onze ans, ne se laissa pas faire et son texte réapparut sur la façade d’une coopérative d’habitation, à courte distance de la Alice-Salomon-Hochschule.

Quelques années plus tard, en 2022, Gomringer a quatre-vingt-dix-sept ans, la municipalité de sa ville, Rehau, décide que l’ikkp fondé par le poète, doit libérer la Maison de l’Art (Kunsthaus) locale. Heureusement les archives de l’institut sont accueillies par les Archives littéraires suisses et sa collection d’art concret par le Museum für konkrete Kunst d’Ingolstadt.

Pierre Lenchepé