James Sacré, “De la matière autant que du sens (en compagnie du peintre et graveur Mustapha Belkouch)”, lu par Alexis Pelletier


Alexis Pelletier explore ce livre de James Sacré qui reprend cinq livres d’artiste réalisés avec et autour de Mustapha Belkouch.


 

James Sacré, De la matière autant que du sens (en compagnie du peintre et graveur Mustapha Belkouch), Al Manar, 2022, 88 pages, 20€


Figures pour creuser matière et manière avec James Sacré et Mustapha Belkouch


La poésie de James Sacré se tourne une nouvelle fois vers une œuvre plastique qu’elle accompagne, il s’agit de celle du peintre et graveur, Mustapha Belkouch dont l’éditeur fournit une douzaine de reproductions alternant des monotypes et des œuvres qualifiées par l’expression « technique mixte sur toile », dans des formats variés (de 30 x 30 cm à 180 x 60 cm). On parle parfois de paysages abstraits pour désigner cette œuvre dont Nicole de Pontcharra a pu dire qu’elle déploie « avec elles les nuances des états de l’âme comme celles des terres, des océans, et des ciels. »
Six ensembles constituent ce livre : « Une toile peinte et parlée », « Un désir de paysage », « Gravures », « Si les peintures mettent des couleurs dans les mots ?», « Ancrits pour des couleurs » et la partie éponyme « De la matière plutôt que du sens ».
Et la lecture de ces titres permet de comprendre que, dans l’ouvrage, l’écriture trouve l’occasion d’y développer ce que le poète appelle une rencontre continuée. C’est-à-dire une sorte de glissement continu, à partir d’une œuvre, vers ce qui constitue l’ensemble de ses interrogations.
La peinture est matière et James Sacré de prendre un tableau, de le retourner contre le mur ou de le mettre tête en bas puis de le réinstaller dans le bon sens, de partir loin de lui et d’en promener le souvenir au Maroc. « Et voilà que partout je crois le reconnaître qui fait signe » (p.18).
Le geste de Sacré est faussement naïf. Il joue avec les codes de perception de la peinture abstraite qui pousseraient à reconnaître quelque chose du monde dans le tableau, « Comme des amas / De neige défaits / À cause de chaleurs, et du charbon. » Les mots font ainsi surgir l’aspect physique de l’œuvre qui devient elle-même quelque chose de l’origine de l’écriture.
James Sacré peut, ainsi, constater : « On ne sait pas si le paysage / Nous vient dans les yeux / Ou s’il s’en va / Versé dans le temps / Qui nous attend. » (p.23). Les lectrices et lecteurs qui connaissent son œuvre savent qu’au-delà de sa confrontation à la peinture de Belkouch, c’est toute son écriture qui se concentre dans ses vers, lui qui a publié, notamment La nuit vient dans les yeux, La peinture du poème s’en va ou Les mots longtemps, qu’est-ce que le poème attend (les trois ouvrages, chez Tarabuste, respectivement en 1997, 1998 et 2004). Les titres baignent dans la même atmosphère sémantique, tout en déplaçant l’assemblage des vocables. Aussi peut-on avoir l’impression que se confronter à une œuvre, c’est aussi toujours, pour James Sacré, la possibilité d’ouvrir une nouvelle variation de son écriture.
Et ici, la variation se fait à la rencontre exacte de la matière et de la manière. Elles paraissent se compléter parce que si la matière du peintre est dense, elle échappe finalement à toute description et se limite, comme impossible à cerner, à la manière des mots : « Indéfinissable sans doute / Est un mot trop lourd / Pour dire qu’on ne sait pas dire. / Et sans doute que trop lourd aussi l’ensemble des mots d’un poème / Qui voudraient dire une peinture. » (p.75). Sans doute, selon Sacré, la manière du poème ne peut jamais dire la matière du peintre. Cependant, dans le frottement qui s’inscrit une nouvelle fois entre peinture et écriture, quelque chose du désir permet de rassembler, non pas le monde, mais le glissement de ce qui constitue le ou la geste de James Sacré dans ses poèmes. C’est comme une sorte d’aplat qui rassemble aussi bien les lieux parcourus et leurs couleurs dans ce qui fait le présent de l’écriture. C’est-à-dire dans ce qui la rend présente à la lecture.
Et la distance qui en établit la profondeur ne se sépare jamais d’un certain humour, qui fait une sorte de pied-de-nez à la mélancolie, pour que rien ne soit imposé à celles et ceux qui lisent : « Rubans d’écriture et de pensée sur lesquels je tire ici / Pour essayer de savoir de façon un peu solide / Ce que je ressens devant cette grande image en noir et blanc ponctuée de cet œil bleu / Qui me regarde peut-être en se moquant. » (p.80).
Et c’est ainsi que l’écriture et la peinture sont de la matière autant que du sens.

Alexis Pelletier

James Sacré, De la matière autant que du sens (en compagnie du peintre et graveur Mustapha Belkouch), Al Manar, 2022, 88 pages, 20€