Jacquy Gil, “Souveraine est la lumière”, lu par Jean-Claude Leroy


Jean-Claude Leroy présente aux lecteurs de Poesibao ce livre d’un poète “connaissant les climats, les ciels, les humeurs des tempêtes”.



Jacquy Gil, Souveraine est la lumière, postface de Marc Wetzel, éditions Unicité, 142 p., 2024, 14 €



« Le monde est né avant de se savoir être. » [p. 69]



Un titre qui semble emprunté à la chanteuse Annkrist et invite parfaitement à ces méditations nées face à la paroi reposée du jour. Bel échantillon d’un regard buveur d’aube, cette écriture aimante d’un monde donné, celui de la nature première prise dans l’éclairage cru où se cache le ressort du temps.

Alors que déferle sur le mode poétique une vague d’extrême narcissisation, il est réconfortant de voir qu’existent encore des auteurs désintéressés d’eux-mêmes. Ici le poète a l’heur d’être aux champs, il est offert à la saison comme à la raison (« … la pauvre mouche noire / Que nous appelons la raison », Victor Hugo). Ni masqué ni enflé, son « je » s’affirme comme étant partie d’un tout. Chaque fragment rassemblé ici déplie une oreille collée au coquillage terrestre, il suffit (?) d’entendre.

« Me courbant, j’ai toujours pensé que le ciel viendrait épouser mon échine et que, tout le poids des étoiles amenant ainsi mes yeux au plus près du sol, il me serait donné de reconsidérer la face la plus tangible du monde et, par là même, d’appréhender l’Univers en son entier. » [p. 68]

Les questions les plus enfantines ne sont-elles pas celles de la métaphysique, donc les plus audacieuses. Ainsi, faire corps avec l’univers, se voir comme élément du ciel, se frotter à une réalité autrement organique et vivante que ce réalisme concurrentiel qui nous est imposé (par nous-mêmes en tant que groupe humain !). Il faut être attaché avec ferveur à la source pour ne pas se laisser happer par la réification généralisée, pour être assez détaché enfin, et laisser son esprit divaguer sagement. Secret peut-être d’une sérénité encore possible quand l’angoisse gagne les plus fines strates.

« La lumière a beau être souveraine dans la nature, elle y règne mais n’y gouverne pas ; de même la pensée peut faire et défaire l’histoire, elle la juge mais ne la commande pas. », écrit Marc Wetzel, qui accompagne parfaitement la démarche de Jacquy Gil dans une postface riche et minutieuse, montrant parfaitement la singularité de ce poète, contemplatif bucolique égaré (ou clandestin) en ce xxie siècle. Poète connaissant les climats, les ciels, les humeurs des tempêtes, les calmes des immensités, il n’a pas d’outils, il montre de ses yeux, de ses sens, et ses doigts sont là aussi pour écrire ; il s’appelle Jacquy Gil, je ne le connaissais pas, voici que je le salue.

« J’ai conclu un pacte avec le monde. Désormais, je suis dans l’effort des choses ; l’univers m’accapare des jours entiers, ne me laisse aucun répit.
Ma tâche vaut ce qu’elle vaut. Et moi-même ne sais pas si mon questionnement doit être suivi de réponses.
J’ai appris à poser mes yeux là où d’autres détournent leurs regards. Voir est déjà tout un labeur qui ouvre une conscience. C’est là l’unique raison qui me fait aller, même si j’ignore où mes pas m’emmènent.
 » [p. 84]

Jean-Claude Leroy

Jacquy Gil, Souveraine est la lumière, postface de Marc Wetzel, éditions Unicité, 142 p., 2024, 14 €