Isabelle Baladine Howald, « poèmes pour le 24 février », revue « Sur Zone », n° 58


Poesibao propose aujourd’hui dans sa revue « Sur Zone », pour l’anniversaire du 24 février 2022, ces deux poèmes d’Isabelle Baladine Howald.


Trace de rien

Morts de Boutcha
mains liées dans le dos
par un morceau de tissu blanc
signifie en principe la paix et
l’appartenance aux civils
descendus dans la nuque
comme au temps de la Shoah par balles

Morts de Marioupol
sous les décombres du théâtre
une femme attend un enfant
portée sur un brancard
elle ne survivra pas
son enfant non plus
né-mort

Ville éventrée à Kramatorsk
murs écroulés fenêtres brisées
matelas couvertures vêtements
sous terre sans eau sans électricité 
enfants qui trouvent toujours
de quoi jouer mais là non
ne trouvent pas

Même pas adolescents
avec des fusils en bois
apprenant la guerre
femmes très jeunes ou très âgées
aux cheveux et yeux si clairs
foulard à motifs colorés sur la tête
sans âge oui tous pleurent

Je m’en veux d’écrire un poème
c’est inutile
trace de rien
rien juste pour eux
témoin pour témoin
en jaune et bleu
à Kyiv.

***

Nietotchka

Enfants petits couchés sur le ventre
poursuivis attrapés jetés là abattus
poignets liés derrière le dos

qui peut croire qu’un enfant
qui peut croire
qu’un enfant est fait pour autre chose

que jouer à dormir sans être mort
qui d’inhumains pour attacher
de si fins poignets si petits

des os si souples si petits
une peau si fine si fine
des veines si pâles si pâles

qui d’inhumain si inhumain
si inhumain eux si petits
si inhumain eux si petits

petits eux sur le ventre chuchotent :
« on ferait semblant d’être morts »
mais Nietotchka, c’était pour de vrai.


Isabelle Baladine Howald


Nietotchka est le prénom du personnage principal et réel de l’Ukrainienne de Josef Winckler, Verdier 2022.