Isabelle Baladine Howald, “M”, lu par Anne Malaprade


Anne Malaprade évoque ici le W de Perec à l’ouverture de ce compte-rendu du livre d’Isabelle Baladine Howald, “M”.


 

Isabelle Baladine Howald, M, éditions Isabelle Sauvage, janvier 2024, 55 p., 13€


Le M du titre du dernier livre d’Isabelle Baladine Howald réveille le W du récit de Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance. On pourrait en effet voir et entendre derrière cet M (1) majuscule d’autres souvenirs d’enfance, tournés cette fois vers une mère bien présente, et toujours vivante. Une mère mortifère néanmoins, qui ne sait pas tant donner la vie qu’imposer la mort, juger et multiplier les interdits : « M     je déplore ton tribunal permanent/nos silhouettes descendues les unes après les autres/plus sûrement qu’avec un P38 », « m     il faudrait penser que tu nous mets en danger de mort/frère est déjà ». Une mère qui ne veut ou ne peut pas aimer, puisque ce M est bien entendu prolongé par les deux m de maman dont l’écho se poursuit dans le M central du verbe aimer. Dans la lettre M, on trouve aussi le verbe murmurer, et puis l’âme ou le moi, ou encore le m de maison, de mentir et de mort et ceux de même, dans lesquels j’entends une protestation et une révolte — qui disent sans détruire : « terres étrangères sont si accueillantes/terre proxime reste terreur ».

Le texte frappe d’emblée par sa forme : il est à la fois continu (pas de section, de chapitre, de station interne, sinon une coupure centrale figurée par une page blanche) et discontinu, du fait des blancs qui cadrent les vers et les écorchent. Ici, le blanc entoure systématiquement la lettre m quand elle est isolée, qu’elle soit majuscule ou minuscule. Il suit également le j’ et le je, majuscule ou minuscule. Pour ce qui est du m, on a l’impression que c’est une force interne à cette lettre qui propulse, repousse et rejette la suite du texte. Concernant le je ou le j’, le blanc signale plutôt une pause, un arrêt, un moment réflexif. On peut alors lire cette partition soufflant (sur) les consonnes comme un dialogue entre deux lettres, derrière lesquelles se profilent la mère et la fille tout autant que la sorcière et l’enfant.

Dédié « aux survivants/à ceux qui n’ont pas survécu », le livre va pourtant recueillir la vie au-delà sa dédicace. En effet, il s’ouvre pour finir à une vivante qui, on l’espère, ne sera pas broyée par ce M Léviathan et castrateur. Les deux derniers poèmes du livre, après une page vide, célèbrent la venue d’une « petite  toute  petite », entourée et protégée cette fois de blancs qui disent le miracle de l’inédit et du neuf. La référence aux contes se poursuit : après « Les six cygnes » qui ouvrent le recueil, c’est Poucette qui est cette fois convoquée, dont on imagine qu’elle est peut-être dotée, elle aussi, d’une aile de cygne qui lui permettra de voyager et de voler en toute liberté. Les enfants, les sœurs, les aimés ne sont-ils pas des oiseaux ? : « et ouvrir les fenêtres pour sœurs — mes oiseaux ». Et j’entends également, dans cet ultime poème, une référence à Catherine Pozzi dont j’avais tant aimé le livre Peau d’âme récemment réédité : « peau d’âme tellement neuve tellement neuve comme peau de sa joue ». Miracle de la naissance et, au-delà, de la natalité, qu’Hannah Arendt met elle aussi en avant dans son ouvrage Condition de l’homme moderne : « C’est cette espérance et cette foi dans le monde qui ont trouvé sans doute leur expression la plus succincte, la plus glorieuse dans la petite phrase des Évangiles annonçant leur “bonne nouvelle” : “Un enfant nous est né.” » On espère que Poucette saura s’ouvrir et renaître à elle-même et aux autres, et qu’elle ne sera la « prise de guerre » d’aucun monstre féminin.

Anne Malaprade

(1) W à l’envers ?