Colette Thomas, “Cette fois-ci la forêt était vierge” et “Le Testament de la jeune fille morte”, lus par Jean-Claude Leroy


Jean-Claude Leroy ouvre ci pour Poesibao ces deux livres de celle qui fut amie intime d’Artaud et épouse d’Henri Thomas.


 

Colette Thomas, Cette fois-ci la forêt était vierge (préface de Gaspard Maume), éditions Prairial, 156 p., 2023, 16€. Feuilleter quelques pages de ce livre

Colette Thomas, Le testament de la jeune fille morte (postface Pacôme Thiellement), éditions Prairial, 180 p., 2021, 15€. Feuilleter quelques pages de ce livre


« Le silence est l’équivalent d’une mort qui n’aurait pas vaincu. » [p. 52]



Nébuleuse tout au long des années qui ont précédé sa mort en 2006, la présence de Colette Thomas sur la terre de poésie. Un ami, le poète Guy Benoit, m’avait prêté jadis Le testament de la jeune fille morte, édité en 1954 par Gallimard. Qui donc était cette amie intime d’Antonin Artaud ? Jeune comédienne, elle fait sensation dans son interprétation, en 1946, au théâtre Sarah-Bernhardt, d’un texte récent de l’auteur du Théâtre et son double : Les enfants de la mise en scène principe. On peut ajouter qu’elle va jusqu’à partager le sort de son mentor, subissant les mêmes traitements, quoique Artaud ait cherché à l’en protéger, notamment en sommant Henri Thomas, son époux, de ne pas laisser les praticiens lui administrer des électro-chocs, parce que, lui écrivait-il (le 7 décembre 1947), « l’électro-choc, c’est la mort. » ? En 2021, peu après la reparution du Testament dans une version corrigée, annotée, François Burkard et Gaspard Maume trouvèrent dans les archives familiales de Colette Gibert-Thomas des cahiers d’inédits datant de 1951 et 1952. Ces cahiers sont la base de l’ouvrage qui vient de paraître sous le titre : Cette fois-ci la forêt était vierge.

Quelques années après la disparition (en mars 1948) du poète visionnaire, celle que Pacôme Thiellement (dans sa postface du Testament) appelle « l’aspirante inspirée » va, en tant que femme et donc capable de supporter la vérité, tenter d’aller « chercher au fond de la terre la force régénérée » puisque « le monde est seul, incommunicable et malade. » [Testament, p. 138]
Un battement de peur effrontée paraît sous-tendre les fragments inquiets réunis dans ce livre brouillon si précieux. Le temps est ici l’obsession qui tenaille, à la fois gouffre et oppresseur, avec un accent d’infini ou d’injonction. On ne voudrait pour autant s’en échapper trop facilement. Car cette frayeur affichée se double d’un courage frontal qui fouille et questionne le vide et la chair de ce vide, assez en tout cas pour oser une quête de réalité originelle ou une explication possible à ce recours à Dieu, tout juste bon à bénir les unions, à graver du vrai dans l’inconscience des humains mâles décidément impuissants.

Comme le souligne Gaspard Maume dans sa préface, Colette Thomas n’a pas dressé sa mémoire à dérouler son passé trop certain, au contraire « elle devait passer en blanc l’ensemble de ses souvenirs relatifs aux moments passés en compagnie du poète – faisant dans cette histoire la part belle à l’oubli. » [p. 10] Dans sa fidélité absolue, la jeune femme fait plutôt corps avec l’absence, jusqu’à peut-être oublier qui, d’elle ou de lui, résonne à l’intérieur.
Reste un désarroi tel que la vie s’assèche de sentiments pour ne laisser que l’exercice concret des corps. « L’amour ça n’existe pas plus que la haine – mais donner du plaisir à quelqu’un ça existe
comme tuer quelqu’un – ça existe, c’est-à-dire
ça se manifeste 
» [p. 74]
Faut-il être possédé pour être libre ? Où est-on mieux à sa place que désincorporé ? C’est dans Cette fois-ci la forêt était vierge que l’on peut lire : « il faut ne pas vivre pour rêver. » [p. 68] Là est sans doute l’impossibilité, le traquenard où se laisse enfermer une conscience violée dévoilée.

« ne pas agir, être agi – quand il en est ainsi, constater : je suis libre » [p. 68]

Si, après la mort d’Artaud, Colette retrouve Henri à Londres, la tentative de reprendre la vie commune est un échec. On sait que c’est en 1952 qu’elle adresse le manuscrit du Testament à Jean Paulhan, qui l’accepte aussitôt pour Gallimard. Elle travaille alors comme traductrice de l’anglais pour les Presses Universitaires de France, et traduit aussi un roman de Naomi Lewinson.
Ensuite, concernant écriture ou travaux de cet ordre, les archives ne disent plus rien jusqu’à sa mort, cinquante ans plus tard. En attendant peut-être de nouvelles découvertes, un nouvel effet de lumière, des mots patients exhumés de l’ombre.

« Quand un homme est perdu, il reste tous les autres, et c’est la voix de tous les autres qu’on entend à travers lui. » [p. 104]

Jean-Claude Leroy


Colette Thomas, Cette fois-ci la forêt était vierge (préface de Gaspard Maume), éditions Prairial, 156 p., 2023, 16 €. Feuilleter quelques pages de ce livre
Colette Thomas, Le testament de la jeune fille morte (postface Pacôme Thiellement), éditions Prairial, 180 p., 2021, 15€. Feuilleter quelques pages de ce livre