Carte blanche à Claude Minière qui réfléchit ici à la traduction d’un passage de Docteur Sax, récit de Jack Kerouac
De la difficulté de traduire Jack Kerouac
Vous lisez Doctor Sax, le fantastique récit de Kerouac, vous vous arrêtez un moment sur cette phrase (4ème Livre, 1ère section) : I remember I was so happy — something in the alchemy of summernight, Ah Midsummer Night’s Dream, John a Dreams, the clink of clock on rock in river, roar — old gloor merrimac figalitating down the dark mark all spread. Vous entendez bien clink of clock on rock; river, roar; down the dark mark. Vous allez voir ce que donne la traduction de Jean Autrey (Gallimard, 1962). « J’étais si heureux, je m’en souviens, un bonheur qui provenait de l’alchimie de cette nuit d’été, Ah, le Songe d’une Nuit d’Eté, Clé des Songes, et le rugissement du fleuve sur le roc — le vieux Merrimac bondissait et écumait ». On a coupé le son, on a perdu le sens physique. L’écriture de Kerouac est d’une grande vitalité et l’écrivain se souvient là des sensations de l’enfant marchant, un soir d’été, le long du fleuve Merrimac. Jack Kerouac est aussi un grand admirateur de Proust (drogué au temps), de Joyce et de Céline (familiers de la mort), qui recommandait d’écarter toute inhibition d’ordre littéraire, grammatical ou syntaxique.
Essayons d’être plus proches. Ce ne sera pas facile parce que, par exemple, John-A-Dreams est un « personnage » que l’Hamlet de Shakespeare dit être « stérile, rêveur inutile à ma cause », unpregnant to my cause, et que John dans l’américain familier désigne ce que les petits Français appelaient « les cabinets ». Mais essayons d’entendre un peu mieux :
« Je me souviens, j’étais si heureux — quelque chose dans l’alchimie nuit d’été, Ah Midsummer Night’s Dream, le relâchement, le clinc cloc sur les rocs dans le fleuve, feulement — vieux glorieux Merrimac creusant en tous sens sa trace noire ».