Bronka Nowicka, “Nourrir la pierre”, lu par Florence Trocmé


Exploration pour les lecteurs de Poesibao, en complément de l’anthologie du  jour, du livre saisissant de la Polonaise Bronka Nowicka.



Bronka Nowicka, Nourrir la pierre, traduit du polonais par Cécile Bocianowski, éditions Corti, 2023, 80 p., 16€


Il me semble avoir très rarement lu, dans l’océan de la poésie contemporaine, un livre qui évoque si justement et si profondément ce que peuvent être les ressentis d’un enfant. Dans son rapport avec les objets, ici ce sont des choses très frustres, c’est un univers de pauvreté, où cohabitent les générations, où le handicap est présent, un monde de misère, mais comme transcendé par le regard de l’enfant, un regard que lui inspire sa tristesse : « la tristesse m’enseigne que je sers à vivre ». Enfant solitaire, sans jouets, mais qui adopte une pierre, qu’il tient à nourrir, à chérir, qu’il caresse. Une simple pierre comme instrument d’optique au fond, dont le côté hermétique qu’il transperce en la personnalisant lui apprend à mieux voir au-delà des choses, des apparences. En se fiant notamment à ses sensations. La manière dont Bronka Nowicka rend compte de cette conscience enfantine est saisissante et éveille chez le lecteur des sensations enfouies, éclairent des territoires lointains. Je remarque en particulier que les générations et les genres se mêlent, l’enfant évoqué est tantôt une petite fille, tantôt un petit garçon, « ma grand-mère élève sa mère dans une chambre avec une demi-porte ». Oui, une demi porte, la grand-mère ayant enfermé l’arrière grand-mère dans une pièce dont elle a coupé la porte en deux, pour la rendre infranchissable sans que cela l’empêche de surveiller la très, très vieille femme. Le livre explore aussi à sa manière les relations entre les générations et les substitutions parents / enfants qui s’opèrent parfois dans le cours de la vie. C’est aussi le monde des questions sans réponse des enfants : « Tu ne saurais pas où sont les oiseaux morts ? demanda l’enfant à la pierre, parce que personne parmi ceux qu’elle avait interrogé ne le savait ».
On peut interroger ce livre pour avoir réponse à des questions d’enfant qui peut-être n’en eurent jamais.

Florence Trocmé

Je recommande la lecture de ces extraits du livre qui éclaireront mes propos.
Et je dédie cette note à Antoine Emaz à qui je n’ai cessé de penser en lisant ce livre et en rédigeant cette note. Et à Mary-Laure Zoss.