Brigitte Palaggi, « Traversée du vert (et des paysages du Cantal) », par Olivier Domerg


Olivier Domerg explique la nature particulière du travail photographique de Brigitte Palaggi à qui il s’associe souvent pour des livres.



Brigitte Palaggi
Traversée du VERT
(Et des paysages du Cantal)



Ce qui frappe, d’emblée, dans Traversée du VERT, c’est que la relation qu’entretient la photographe Brigitte Palaggi au « paysage », en général, et aux « paysages du Cantal », en particulier, n’est pas d’ordre ostentatoire ni spectaculaire. Contrairement à beaucoup, elle ne cherche aucunement à magnifier ni à sublimer les choses. Face au paysage, elle se situe ailleurs, dans un autre rapport à lui, et dans une exigence et une esthétique qui lui sont propres. Elle fait un « pas de côté » et sort de la convention et du convenu, par une manière de faire et de regarder différente, voire, divergente.

Ne serait-ce qu’en décadrant ou en regardant autrement ce qui, dans le paysage, serait de l’ordre du sens ou de la sensation, et qui parierait sur les vertus de la polysémie ou de la synesthésie, plutôt que sur celle de la « belle image ». Entendons-nous, l’art de Brigitte Palaggi est de voir et de mettre en avant ce que d’autres négligent, méprisent ou, simplement, ne voient pas ou plus ! Ce peut être une disposition singulière des éléments, l’empreinte d’un cheminement dans l’herbe d’un pré, l’intrication quasi cubique des toits d’un village, une propension des haies ou des clôtures à suggérer un motif, un hiatus visuel, un jeu de formes et/ou de couleurs, un parti-pris d’hétérogénéité.



Ou bien, les exemples fourmillant, cela tient à une perception plurielle et plurivoque, où les traces laissées par le fauchage d’un champ, un dégradé de verts constituant une figure, les atterrissements souples, soyeux et molletonnés d’un relief montagneux, un contrepoint donné par un bosquet d’arbres ou par un troupeau, un plan de château sorti de son contexte coutumier, une proposition ludique ayant valeur de titre (passage piéton aux hachures vertes), une ironie passagère autant que paysagère, une mise en résonance d’objets, de taches ou de touches de couleur, une incongruité ; ou encore, des associations d’idées visuelles, formelles ou chromatiques, rebattent les cartes du « déjà-vu ».

Ajoutons une chose essentielle, pour bien comprendre ce travail, qui est que Brigitte Palaggi ne truque ni ne trafique. Elle ne retouche rien. Ne fait pas de montage ni de superposition. Et, surtout, elle ne met rien en scène.

Mais, qu’à cela ne tienne, puisque tout est déjà là, pour qui sait observer et débusquer ce qui constitue l’essence même de ses paysages. Ainsi, surprend-elle l’écriture curviligne qu’incise une rivière dans une prairie (Santoire ou Impradine). Ainsi, ouvre-t-elle la porte à tout ce qu’on chasse ou gomme de l’image, tels ces poteaux et lignes électriques, motifs exogènes qu’elle intègre, comme d’autres du même acabit, à la construction de ses photographies.

Aussi, en mixant des éléments urbains et naturels, en cultivant des rapprochements et des interversions, en multipliant des clins d’œil à peine appuyés, en suggérant un « comique de situation » et en usant, également, d’une ironie douce, elle montre que les paysages du Cantal ne cessent d’être travaillés par l’homme et refondés par lui.

Aussi, se sert-elle de tout ce qui survient, pluie ou neige, étendages ou fléchage au sol, pare-brise ou essuie-glaces, piquets ou poteaux, nuage ou oiseau, faisant entrer les circonstances dans le geste et la geste artistique. Car, tout fait paysage ! Et si Brigitte Palaggi n’exclut rien, tout élément, quel qu’il soit, est alors pleinement reconsidéré et servira, dès lors, à composer ou à recomposer ces sortes de « poèmes visuels » qui sont les siens.



Comme dans cette très pertinente série, dite des « photos qui pleurent », qui tendent toutes vers l’aquarelle, le lavis, tout autant que vers la peinture ; et qui sont de toute beauté. Série dans laquelle, incluant les conditions météo comme « générateur de regard », elle photographie « à nouveaux frais ».

Tout est bon, par conséquent, pour déroger à l’attendu, et se surprendre soi-même ! Tout est bon pour réinvestir, sans chromo, pathos, ni panorama grandiose, la QUESTION DU REGARD.

En cela, et avec cette nouvelle exposition, Brigitte Palaggi poursuit son œuvre de photographe.

Olivier Domerg



Traversée du Vert (paysages du Cantal)
Exposition de Brigitte PALAGGI jusqu’au 22 août 2024
aux Archives départementales du Cantal,
42 bis rue Paul Doumer, 15000 AURILLAC,
du lundi au jeudi de 8h30 à 12h et de 13h30 à 17h