Bernat Manciet, “Sonets” et “Impromptús” (1), lus par Élisabeth Beyrie-Soulassol


Élisabeth Beyrie-Soulassol explore ici pour les lecteurs de Poesibao cette double réédition bienvenue de livres de l’écrivain gascon Bernat Manciet


Bernat Manciet, Sonets, editions Jorn, 1996, Traducteur Latry, Guy, 2023, 237 pages, 20 €.
Bernat Manciet, Impromptús, 1997, Editions L’Escampette, Traducteurs : Latry, Guy, Javaloyès Sergi, editions reclams, « Coll Tintas », 2023, 65 pages, 15 €.



À l’occasion du centenaire de la naissance du grand poète landais, pourquoi ne pas lire et relire les textes de Bernard Manciet (1923-2005) et en particulier les recueils intitulés Sonets et Impromptús qui viennent d’être réédités par les éditions régionales reclams et Jorn.

C’est dans sa langue maternelle que ce grand érudit écrivait. Il traduisait ensuite ses textes, aidé en cela, pour la prose, par plusieurs traducteurs. Œuvre protéiforme, elle recouvre tous les aspects de la littérature, poésie, théâtre, roman, nouvelles, essais, articles mais aussi une œuvre graphique.

Les deux rééditions présentent les poèmes en français et en « gascon noir », « le gascon du long de la côte. Il a goût de gravier, de la mer, et de vents sombres. C’est un gascon noir dont les voyelles sont très sombres. » comme le définissait le poète landais (2)

Ces recueils, édités à un an d’intervalle, sont différents au niveau de la forme mais, ils racontent, tous deux, le même amour des « gens », des mots et de la langue gasconne.

Le recueil Sonets propose près de 120 poèmes disposés en quatre parties, rédigés en hommage à son ami Henri Espieux, Enric Espieut, grand nom de la poésie occitane disparu prématurément (3). Manciet, reprenant la forme classique du tombeau poétique, s’en libère par la quasi-absence de ponctuation, de rimes et de mesure des vers. On y trouve la célébration du corps entremêlée à celle des arbres, de l’eau et du ciel. Le poète dialogue avec son ami, avec Dieu, au fil du temps, des mois et des saisons qui passent et reviennent. Il doit apprendre à vivre avec la mort, mais regrette « la male odeur de ton absence » (p.82), et vit avec « le mal de toi qui dort dans ma poitrine » (p.118), « mon traversin sera ta nuque/et mes lèvres seront les tiennes » (p.166). Le temps du « péché » (p.42), « trop dur secret ombre dans mon âme » (p.126), finit par passer. Voguant sur son beau Trois-mâts, l’ami devient « parfum de thé » (p.218). L’été revient ainsi que le Phénix et par l’écriture, « ce silence qui t’est louange » peut devenir poème d’amour :

aimer c’est comme le beau temps sur l’étendue de mon maïs
aimer ce m’est un champ aimer c’est là mon bien
lorsque est venue pour moi l’heure de m’en aller 

Impromptús rassemble neuf poèmes à forme brève, des vers impairs, non rimés, « écrits de chic » comme il le disait avec malice. Si le titre annonce des poèmes faits sur le champ, sans préparation, ceux-ci montrent une construction certes spontanée mais aussi très rigoureuse, comme les solos de jazz dans une partition. Certains textes évoquent la beauté charnelle et sensuelle du corps féminin comme l’» Impromptu des taches de rousseur » (p.11) :

vòsta pèth hèi pas qu’ua pèrla
qu’ètz ua rada Isabè
se despèrli vòsta arrea
haut s’empèrla ua passaròsa (4)
 
D’autres affichent une tonalité beaucoup plus tragique comme « L’Impromptu sur la dépouille », hommage à son ami poète Henri Espieux, trop tôt disparu. Deux poèmes rappellent des épisodes autobiographiques, une promenade en gabarre sur la Garonne, et d’une soirée avec des amis. Ce dernier rappelle avec drôlerie qu’Annie avait perdu son talon – sa vertu – d’avoir trop dansé ! L’» Impromptu de Marion », poème trisyllabique, léger et sautillant, est dédié à sa fille ainée.

Comment lire cette poésie ? À haute voix assurément et même si on ne connaît pas la langue des Landes, on peut s’y essayer à la manière de Bernard Manciet (5)
Bien sûr, la traduction est aussi belle et exigeante que le texte premier mais la saveur du parler des Landes est inimitable. Le poète déclarait que pour lui, le français est « une langue apprise » alors que le gascon était « une langue d’instinct », une « langue animale », au sens noble, celle de la peau, celle de la respiration.

Cette langue, c’est celle d’un chant qui, partant de la terre des Landes, s’élève vers la lumière.
 

Elisabeth Beyrie-Soulassol

1.Bernat Manciet, Sonets, editions Jorn, 1996, Traducteur Latry, Guy, 2023, 237 pages, 20 €.
Bernat Manciet, Impromptús, 1997, Editions L’Escampette, Traducteurs : Latry, Guy, Javaloyès Sergi, editions reclams, « Coll Tintas », 2023, 65 pages, 15 €.
2.https://fresques.ina.fr/borbolh-occitan-fr/fiche-media/Occita00092/bernard-manciet.html
3.https://data.bnf.fr/fr/11901914/henri_espieux/
4 votre peau n’est qu’une perle/vous êtes une rade Isa/que votre dos se déperle/et haut s’emperle rose trémière
5 https://bernardmanciet.com/le-feu-de-la-langue