Bernard Bretonnière, Lettre ouverte aux onze millions de lits français qui dorment sans personne dedans.


Jean-Claude Leroy évoque ici l’expérience profondément humaine que relate Bernard Bretonnière dans une lettre ouverte à tant de lits vides.


Bernard Bretonnière, Lettre ouverte aux onze millions de lits français qui dorment sans personne dedans. Éditions Le Réalgar, 24 p. 2022, 5 €.

Bernard Bretonnière est bien connu dans le monde de la poésie, notamment pour sa manie des listes, son obsession des listes, son ironie des listes. Comme s’il prenait au mot le délire statistique et ses effets en termes de gestion théorique, il établit des suites à vertu exhaustive qui souvent contaminent le lecteur, le place dans un monde ainsi chiffré et qualifié qui le regarde, lui, être démuni et apeuré, égaré dans un langage prétendument réalisé.

Parmi bien d’autres listes, plusieurs centaines à son compteur (la moindre conversation avec Bernard, c’est pour lui, en quelques minutes, l’opportunité de vous introduire dans une douzaine de listes, celle des poètes qui ont un prénom composé, celle de ceux qui ont habité une adresse comprenant un bis, etc.), une de mes préférées : la liste interminable des effets secondaires des médicaments, qui prête à sourire ou à s’affoler, selon notre état du moment. Cependant Bernard Bretonnière, outre ses savoureuses manies taxonomiques (qui ne résument pas tous les aspects de son travail littéraire), est aussi un citoyen du monde perméable à la réalité la plus crue, celle qui invite et requiert. Dans un opuscule de la collection « Lettre ouverte » des éditions Le Réalgar, il s’adresse aux onze millions de lits qui, en France, dorment tout seuls tandis que plus de 300 000 personnes n’ont d’autres choix, en notre hexagone modèle, que de dormir dehors.
Depuis un certain nombre d’années, le poète s’est engagé le plus concrètement qu’il se peut dans le soutien aux migrants, et il le revendique haut et fort, non pas pour se mettre en avant, mais pour partager une expérience de vie salutaire, une inscription plus réelle dans le monde tel qu’il est.

Sinon un versant humaniste de plus que bon aloi en un temps où la notion de « grand remplacement », instillée par qui on sait, fait des dégâts considérables dans les consciences, l’intérêt de cette lettre d’un « accueillant » réside dans le témoignage de ses propres atermoiements, inquiétudes, hésitations préalables. Quelques mots d’un autre poète, Jean Malrieu, lui sont restés en mémoire : « Si ta vie s’endort, risque-la. » Comment, en effet, sortir d’une certaine paresse, d’un banal « confort », autre mot pour l’endormissement évoqué par Malrieu dans son poème ? Bernard Bretonnière évoque en toute honnêteté la peur qu’il a eue d’être dérangé dans ses habitudes : Qu’allait donc entraîner le simple fait d’offrir un lit inoccupé d’une chambre vacante à quelqu’un qui en a besoin ? Et il explique à quel point ce qui en lui craignait (pour sa tranquillité) est ce qui aujourd’hui a envie (pour sa même tranquillité), parce qu’il veut désormais accueillir, accueillir toujours, parce que c’est non seulement utile, mais « heureux, bienfaisant, tonifiant ».

« Ainsi, ces deux lits, chez moi, ne connaissent plus le vide, ma maison ne connaît plus l’ennui ni la morosité, nous vivons tous ensemble tellement mieux, tellement plus. Aujourd’hui, et, au quotidien, je ne peux plus me passer de leur présence ; elle m’est devenue nécessaire, parce que naturelle, et revigorante, et salutaire, et vitale. D’autres suivront, assurément, nombreux – et longtemps –, je le veux désormais, pourquoi pas tout le reste de ma vie ? »

Bernard Bretonnière, Lettre ouverte aux onze millions de lits français qui dorment sans personne dedans. Éditions Le Réalgar, 24 p. 2022, 5 €.