Un premier livre d’Ann Loubert connue comme peintre, un tout nouvel éditeur, les éditions sur Paroles, une belle double découverte.
Le poème de l’écart
Les toutes nouvelles éditions Sur Paroles publient leur premier livre de poésie. Il s’agit d’un beau recueil d’Ann Loubert, que l’on connaît comme peintre. Ce texte inédit et premier livre de l’auteure s’appelle B. assis sur sa mort. Le titre frappe. Il s’agit du père, de la mort du père, ce choc qui semble toujours tellurique tant le sol tremble, les parois s’effondrent. Le livre est sous-titré « journal » puisqu’il s’agit du progressif « travail de deuil », ce processus si énigmatique qui ne vise qu’à nous faire accepter que les morts nous quittent…
« petites stries de langage » écrit Anne Loubert, voilà ce qui ouvre le livre et le mènera à son terme. Il faudra faire le chemin ainsi, avec ces « stries de langage », le parfum des framboises et le goût des grappes de raisin trop mûres, le souvenir de l’été d’avant, l’effritement du père autrefois si solide…
Le père meurt, le père va mourir, dans le blanc hospitalier si inhospitalier des machines et des draps, les sécrétions du corps malade, la solitude de l’auteur dans la maison de son père, solitude à laquelle on n’a jamais pensé de sa vie. La lecture est parfois éprouvante, mais ce n’est rien qu’une une expérience commune que le corps malade d’un père que la fille regarde : « que la plaie est belle », ceci peut s’entendre de bien des manières… Encore faut-il avoir la force et la précision pour en parler dans ce poème d’écart, de perte, d’adieu.
En parallèle, le jardin de l’enfance offre quelques pauses, avec la connaissance qu’a Ann Loubert de son travail de peintre, qu’elle poursuit face au jardin. Trous dans le corps, trous dans la peinture.
Mon père assis
sur sa mort
dans le jardin
au soleil
mon père sur sa mort
assis
au soleil
du jardin
au soleil assis
mais pas mort
juste
cramoisi
Et vient le moment de l’immense fatigue, il meurt mais n’est toujours pas mort, et c’est insupportable : « Le chagrin est un œdème ».
Le père meurt, sa fille peint :
Formidable envie de peindre — quelque chose
Se gonfle au-dedans de moi
Quand tu peins tu avales ta langue
Des mots te traversent
C’est la part vulnérable où se risque la peinture. »
Premier livre, parce que parfois il faut des mots…
Isabelle Baladine Howald
Ann Loubert, B. assis sur sa mort, Editions Sur paroles, 65 p, 7,80 €