A livres ouverts (dans la vitrine poésie du vendredi 15 mars 2024)


On ouvre la vitrine poésie virtuelle du vendredi 15 mars 2024 pour y feuilleter quelques-uns des livres qui s’y trouvent.


Nouvelle rubrique de Poesibao. Il s’agit d’ouvrir quelques-uns des livres de la vitrine poésie de la semaine et de choisir des extraits de ces livres. Comme on les feuilletterait, debout, dans une librairie


Jean-Christophe Bailly, Temps réel, Seuil, 2024, 21€
Quatrième de couverture sur le site de l’éditeur

Extrait choisi par Poesibao
                                   
le poème perdu
                        roulé en boule et tout au fond de la remise
à peine distinct du foin qui s’y trouve, sec et dur
si c’était comme un axe de verre lumineux
<qu’il revenait> nous l’accueillerions volontiers
lui disant « tiens, c’est toi » tout heureux
de le voir prendre l’air
mais là où il se tient je n’ai pas accès
et lui-même ne sait peut-être plus où il se trouve
(p. 67)


Bernard Noël, Là, il y aura oracle, pour André Masson, « studiolo », L’Atelier contemporain, 2024, 9,50€
Présentation sur le site de l’éditeur 

Extrait choisi par Poesibao
« L’amour de la peinture provoque le désir de rompre, d’en finir avec les choses décoratives qui, aujourd’hui, à la faveur de la mode, donnent tout à l’œil et rien au corps. Qu’est-ce qu’une œuvre qui se contente d’être comprise ? L’art ne serait-il qu’une petite surprise et beaucoup d’argent ? On ne se pose pas ces questions devant André Masson, car il vous jette aussitôt dans un feu de vent, qui remue la vie et la mort et ne vous laisse pas de temps pour les idées petites, ni la cuisine. D’où vient une émotion pareille qui est d’abord visuelle sans aucun doute, mais qui va si profond qu’il faut bien la qualifier d’organique, tout en prenant conscience au même instant qu’elle est mentale aussi, profondément ?
(p. 57)


Harry Mathews, Les derniers seront les premiers, poèmes (1989-2016), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laurence Kiefé et Jacques Jouet, P.O.L. 2024, 23€
Présentation sur le site de l’éditeur 

Extrait choisi par Poesibao dans « A l’œil », (1994), série « mariage de deux esprits : idées reçues »
5
Il rêve de changer d’existence et d’aspect
             Elle rêve d’aimer nul autre que John Keats
Elle rêve d’un bar où draguer l’intellect
             Il rêve qu’il était le der des ders des Yeats

Elle rêve demain d’un discret rendez-vous
             Il rêve d’être zen — solitude en sourdine
Il rêve d’étaler son âme aux yeux de tous
             Elle rêve du gars qui guérira sa peine

Il rêve qu’elle rêve intensément d’un tiers
             Elle rêve à Renoir et renonce au régime
Elle rêve d’amours à saveur de gibiers
             Il rêve d’exciter des sacs d’os comme il aime

La caressant, il rêve à sa femme à ses pieds
Le caressant, elle a dans sa tête des lieds
(p. 77)


Claude Esteban, Par-delà les figures, écrits sur l’art, 1964-2006, édition établie et annotée par Xavier Bruel & Paul-Henri Giraud, préface de Pierre Vilar, L’Atelier contemporain, 2024, 30€
Présentation sur le site de l’éditeur

Extrait choisi par Poesibao
58
PIERRE TAL COAT
C’est l’espérance d’un regard qui parle ici, d’un regard comme délié des savoirs minutieux dont la conscience offusque inlassablement le sensible.
Pierre Tal Coat ne prétend pas saisir ce qui, à chaque instant, le sollicite, le harcèle, un arbre, cet envol d’oiseaux, la courbure d’un champ où l’œil s’éveille, et avec lui toutes les strates profondes de la mémoire.
Cette parole, l’une des plus libres que je connaisse aujourd’hui, n’a pas souci de nommer. Elle convoque un élan, elle aspire au passage, elle est comme un lieu à peine clos, que l’horizon bouleverse et déracine — et qui n’a de cesse de se porter plus loin, à l’extrême du dénuement, aux confins inapaisés de l’errance.
L’important n’est pas d’agir, mais d’être agi, traversé des mille forces, à la fois précaires et substantielles, qui déterminent un destin — celui d’un homme tout accordé aux rythmes immarcescibles du monde.

Et rien n’est séparé
et rien n’est limite

Tout est suspendu
et les lointains sont proches


Jean Daive, Le Dernier mur, L’Atelier contemporain, 2024,  25€
Présentation sur le site de l’éditeur

Extrait choisi par Poesibao :
« La connaissance contre le doute
Les fresques d’Arezzo forment un monologue au même titre que les Essais de Montaigne. Piero della Francesca demande à la prière de la Légende l’énergie de poursuivre son récit au moyen du jeu des constructions rationnelles, en un mot de la géométrie et de ses propres combinaisons qui auraient à stabiliser les personnages. La pratique du calcul et de la figure doit égaler à zéro tout un désordre mental, événement qu’il doit seul au doute et à ses conséquences Sans doute demande-t-il au Ciel d’être confirmé dans son choix d’une méthode pour bien conduire une logique : cette méthode implique en effet croyance en soi par la découverte de calculs de la perspective, de la couleur, d’un réalisme qui intègre le songe.(in « Le Mur et Saturne », page 20)


Francis Ponge, l’opinion changée quant aux fleurs, coll. « Les essentiels », Fario, 2024, 11€
Présentation sur le site de l’éditeur

Extrait choisi par Poesibao :
« L’essentiel ne serait-il pas, la gymnastique essentielle ne consisterait-elle pas (pour cette performance-ci) à me placer, à apprendre à me placer au nœud de l’être végétal) (…) C’est-à-dire un peu au-dessous du niveau de la terre (un peu sous terre, à quelques centimètres sous terre) et à faire partir de là, vers le haut et le bas, pensées et expressions, mon poème ?
Quitter ma tête, descendre au nœud de l’être, situé, enfoui dans l’ombre, sous quelques centimètres de terreau (…) Dans certaines conditions de température et d’humid-humilité – et aussi d’ombre ou pénombre – certaines conditions quant à la lumière, aux rayonnements telluriques et solaires ; certaines conditions enfin de voisinage, d’intimité avec le minéral, l’inorganique.
Oui c’et cela : j’y suis ; que j’y reste toujours !
(pp. 21-22)

NDLR : Ce livre parait dans une nouvelle collection éditée par Fario, Les Essentiels, sous la direction de Paule du Bouchet. « Les textes qui ont vocation à exister dans Les Essentiels ont un dénominateur commun. Ils ont pour origine et pour inspiration un même fil rouge : une plongée fascinante dans cet âge d’or de la littérature que représentent cinquante années des plus prestigieuses revues littéraires européennes, entre 1920 et 1970. Des textes alors choisis ou écrits par les plus grands écrivains du XXe siècle. Ces pépites de la littérature étaient jusqu’alors vouées à rester celées dans ces écrins éphémères que sont les revues littéraires. Avec Les Essentiels, elles retrouvent vie. De fait, c’est à une pérennité retrouvée que nous convie cette nouvelle collection. »


Claude Minière, Guerre et paix et guerre, peintures de Jacques Barry, Voix d’encre, 2024, 18€
Présentation sur le site de l’éditeur

Extrait choisi par Poesibao :
Sanctuaire
On voit venir les empires
On voit revenir les empires et le pire est à venir
ils recrucifient chaque jour

le temps remplace la fin des temps
et les prières
les alliances financières étouffent la première

Je rêve d’un sanctuaire
d’une maison construite pierre sur pierre
j’entretiens un dialecte
des jeux locaux
des odes d’exode
en phrases sèches
au bord d’un ruisseau

le sanctuaire pèse une plume et la plume dessine l’aire


Walt Whitman, Walt Whitman sur le vif, propos recueillis par Horace Traubel, Gallimard, 2024 (en librairie le 21 mars), 21€
Sur le site de l’éditeur, avec possibilité de feuilleter le livre

Extrait choisi par Poesibao
Quelle liberté exaltante — le fait d’aller et venir — en toute maîtrise de soi et de la route ! Il faut être soi-même marcheur pour commencer d’imaginer le bonheur que c’est !


Oh ! les très longues marches, tard dans la nuit ! — jusqu’aux petites heures — deux ou trois heures du matin, quelquefois ! L’air, les étoiles, la lune, l’eau — quelle plénitude pour l’inspiration — quel enchantement ! Sans parler des détours — des incursions dans la campagne hors des sentiers battus. Je me souviens en particulier d’un endroit dans le Maryland, où nous allions. Splendeur inégalable de la lune — la pleine lune, la demi-lune, quel émerveillement alors, quel plaisir aux nuances de silence.


Est paru il y a quelques années un livre ayant pour titre Le Côté nocturne de la Nature (The Night-Side of Nature) — je me suis souvent demandé s’il n’y aurait pas aussi un côté nocturne du caractère de l’homme — sa littérature — sa personnalité — une espèce de delirium tremens fantasmagorique.
(p. 20)


Samuel Taylor Coleridge, carnets, précédés de en un mot comme en quatre par antonin artaud, coll. « Les essentiels », Fario, 2024, 14€
Présentation du livre sur le site de l’éditeur

2344. Ô disais-je en regardant la mer bleue, jaune, verte et vert pourpre avec tous ses creux et ses renflements et ses surfaces de verre taillée, – Ô quel océan d’aimables formes ! – et j’étais contrarié, agacé que la pensée eût l’air d’un je de mots. Mais ce ne l’était pas, l’esprit qui était en moi luttait pour exprimer la merveilleuse autonomie et la personnalité inconfondue de chacune de ces millions de millions de formes, et pourtant l’unité indivise en laquelle elles subsistaient.
(pp. 47-48)


Théo Robine-Langlois, Journal municipal, Les petits matins, 2024, 18€
Présentation du livre sur le site de l’éditeur

Extrait choisi par Poesibao
4.
C’est entre chien et loup que M sort pour faire son footing. Elle porte un survêtement trois bandes et des baskets recyclées. Un bandeau maintient ses cheveux en arrière. Elle commence par des petites foulées tout en souplesse. Elle pense. Elle a commencé à faire du sport dès le premier jour de sa retraite. Elle a attendu toute sa vie ce moment où elle pourrait passer ses journées à s’occuper de son corps.

5.
En rentrant le soir, M fait chauffer de l’eau dans sa bouilloire high-tech. Elle sort des nouilles chinoises instantanées et retire l’opercule avant de vider l’intérieur dans un bol. Quand l’eau est à 93°, elle la verse dans le bol et s’installe devant son ordinateur. C’est l’heure du poker en ligne.
Un corbeau croasse par la fenêtre. Je l’écoute et je fais un all-in..
(pp. 108-109)


Francesco Micieli, Enfantines, Kindergedichte, traduit de l’allemand par Christian Viredaz, édition bilingue, Éditions Conférence, 2024, 17€
Présentation sur le site de l’éditeur

Extrait choisi par Poesibao
miroir                                                   Spiegel
Quand tout à coup dans le miroir        Wenn plötzlich im Spiegel
Se surprenant lui-même                       Sich selbst überraschend
L’enfant se demande                            Das Kind sich fragt
C’est vraiment moi                               Bin ich da wirklich
Quand à l’appel                                    Wenn beim Ruf
De la voix de son père                         Von Vaters Stimme
La la la                                                 La la la
L’enfant dans le miroir disparait          Das Kind im Spiegel verschwindet
Alors il le sait                                       Dann weiss es
Ça c’est moi                                         Das bin ich
(p. 36)