Philippe Fumery traverse ici pour les lecteurs ce navire en partance, le livre de Pierre Dhainaut, « Retour sur écoute : »
Pierre Dhainaut, Retour sur écoute :, Le Bateau Fantôme , 2023. 31 p., 12€
C’est un recueil d’une trentaine de pages, paru aux éditions « Le Bateau Fantôme » en juin 2023. L’image d’un tel « navire en partance » apparaît dès les premières pages, sur lequel Pierre Dhainaut a cru naviguer, mais celle-ci s’est imposée à l’entrée d’un tunnel IRM, accompagnée des « grondements de trompes » et des « stridences de sirènes ». Une peinture de Caroline François-Rubino donne une tonalité bleue à la couverture, un bleu nuit, dans la mesure où la douleur donne tout son sens à « la nuit pleine ». La silhouette d’un arbre semble flotter, « l’arbre bleu », et par deux fois : posée sur l’horizon et prise dans l’opacité.
« Si nous partons, nous sommes de retour ». Ce recueil touche au fonds que Pierre Dhainaut déploie dans ses recueils, à mesure que le questionnement accompagne la naissance ou la rencontre des poèmes, que les thèmes familiers reviennent : l’écoute, les souffles, le don, le chant, pour n’en citer que quelques-uns. « Pour vivre, les poèmes puisent dans le fonds d’émotions et de pensées, de rencontres, que nous accumulons ».
Le titre comprend un signe de ponctuation, le double point, qui ne le clôt nullement selon le désir du poète, dans l’attente d’une parole encore. « Nous n’avons qu’une phrase à dérouler, elle sera toujours inachevée ».
La première des trois parties du recueil fait état de ce « double pontage », opération suivie d’une septicémie. Le cœur ainsi soulagé donne-t-il naissance à un être nouveau ? Pierre Dhainaut le pense : « on peut naître à une vie nouvelle ». Mais c’est sans doute la poésie elle-même qui sort grandie de l’épreuve, « lorsque la poésie saisit cette chance et rouvre la vie, la remet au monde ».
Dans la toute dernière partie, c’est le poème qui se retrouve au milieu du pont, et le texte joue sur le rapprochement, plutôt que l’opposition, entre deux termes : « au milieu du pont » et « au bout du monde ». Il n’y a pas à choisir, pas de repentir.
Le recueil agit sur de telles tentatives de rapprochement, à de nombreuses reprises, comme s’il devenait difficile de choisir ou plutôt comme si la réponse se trouvait quelque part dans un entre-deux : « voix aimante » ou « silence aimant » ; « arche » ou « lieu de passage » ; « le feu indemne » ou « la fleur indemne ». « Au fil du temps, au cœur du temps : les deux formules en ces lieux devenues synonymes ».
Ce n’est pas une question de répétition, ce que Pierre Dhainaut dit ne pas apprécier. C’est une question d’alternative essentielle mais insoluble : décider de continuer d’écrire ou d’arrêter, aucun choix ne sera satisfaisant. « Ton silence ne serait pas le bon ».
Au fil des pages, des mots se trouvent appariés : « alliance allègre » – comment ne pas entendre « haleine hélianthe » ? D’autres voudraient dialoguer : « éphémère » et « véhémence » ; « hésitation » et « essor » ; « provenance » et « permanence ». L’ordre des mots n’apporte rien, leur possible inversion les enrichit encore.
Dans les conditions d’une chambre d’hôpital, les noms perdent jusqu’à leur sens – et même son nom qu’on demande sans cesse au patient de répéter. Les mots y détachent les objets, alors que le poème les rassemble dans une « sonorité lumineuse ».
Certains mots peuvent venir à la rescousse, quitte à les aménager : « désoppression » ou « ressoufflement ». Un mot devient privilégié, offert par une amie, il introduit : c’est un « oriflamme ». Et c’est tout le poème qui se range à l’invitation, assez vif pour « se porter de la vue à l’écoute ».
La poésie est affaire de nécessité, mais quand le poète malade ou blessé se trouve dans la position d’un nécessiteux, alors le rapport peut s’inverser également, enrichir les deux parties prenantes : « Nous avons besoin de ce qui a besoin de nous pour être ». Ou encore : « nous sommes ce hasard qui fait naître un autre hasard »
Le titre du dernier ensemble associe étonnamment ces derniers mots : « La soif secourable ».
Philippe Fumery
Pierre Dhainaut, Retour sur écoute :, Le Bateau Fantôme , 2023. 31 p., 12€
Extrait : page 10.
Une fois, une seule fois, un rêve m’a rappelé à la poésie, une vision plutôt, celle d’un arbre bleu. Je ne contemplais pas l’arbre en entier, je participais à la respiration de ses branches comme à la respiration du ciel, de très légères nuances permettant de les distinguer sans les désunir, et en même temps une voix me disait : « C’est ainsi qu’il te faut écrire. Ne cherche pas ailleurs. C’est cela, la beauté », je l’approuvais sans réserve. C’était à la fin d’une nuit, la dernière où j’eus droit à la morphine, j’ai gardé longtemps la sensation qu’elle me donna, du bien-être.