Maud Thiria, « Des errantes », lu par Sébastien Ecorce


À la suite d’une résidence, Maud Thiria nous offre ce recueil d’une belle acuité, « Des errantes », aux éditions LansKine.



Maud Thiria, Des errantes, Éditions LansKine, 2024 (parution le 9 avril), 64 p., 14€


On jaugera en premier lieu ce titre avec toute la profondeur qui lui sied. « L’errance » à entrevoir comme mouvement interne, externe, « projectif », « introjectif », mais aussi de l’ordre d’une circulation, du « désaccordement », de la perte, puis cette notion de « déshérence ». L’absence de lien à l’hérédité, à ce qui fait lien par « génération », cette coupure, cette césure.

La vie et la mort reliée, infiniment reliées, comme deux pôles d’une étendue à traverser, ces lignes sèches, fixes des mémoires du corps, à se déplier sous d’autres invocations, d’autres appels. Ce « quelque chose » et ce « reste ». Cet « entre vie ». Cette perte du souvenir qui est encore un souvenir. Presque. Ce corps qui fait « mur » dans la « forme/informe » des mots. Comme les mots s’absentent dans un corps qui ne saurait plus faire que « mur ». Y aurait-il d’autres effractions que la traversée. La « pétrification » ne serait-elle pas une mémoire de cire ? N’y aurait-il pas des couches de mémoires à lire en ces « bulles » qui « pullulent ». On parle. On ne parle plus. On croit parler. Quand on parle entre les « bulles » ou dans les « bulles », est-ce que l’on tombe « quelque part ». Entre « quelque chose » et ce « reste ». « L’errance » possible comme un territoire de « conte/ décompte » pour ces vies. Le poème est là. Beau. Et terrifiant. Et c’est là un poème qui ne se la « raconte » pas. Il est dans ce regard fin qui participe autant de cette fébrilité, que de cette forme de vitalité. Au plus près. Au creux. Dans la « pliure » à permettre une autre « cartographie ». On « n’écorne » pas les mots comme on « écorne » la mémoire d’une vie. Et si les mots stagnent, la vie continue. En bloc. Où « l’impassibilité » est encore forme infime de traversée, de perception. Cette « disposition » d’être « à terre » comme dans « le vent », comme autant de gestes étirés des polarités d’une « fuite », qui est, encore celle de la vie. De ces marques de « déambulation ». On ne sera jamais ici dans l’emballement métaphorique, en sa turbulence d’efflorescence. On restera dans la chose, ou l’absence de la chose. Dans le lien. Ou son devenir autre. Pourrait-on dire ce qu’est la chose, en s’abstenant de dire la chose. Pourrait-on faire sentir le « repli » s’il n’y avait pas cette forme de « pliure ». Il y va de cette progression, ou de cette impossibilité radicale, parfois, qu’une vérité est « contiguë » au discours qui lui échappe, ou la détourne. Il n’est jamais d’exemple canonique si ce n’est le tracement des «  errantes ». Présences. Limites. Et impermanences. Où ce temps de la distinction passe autrement, entre ce que l’on comprend, et ne comprends pas. Sur « l’indicible » et parfois excentrique « route ».

Sébastien Ecorce

Maud Thiria, Des errantes, Éditions LansKine, 2024 (parution le 9 avril), 64 p., 14€


Extraits :

on ne te la raconte pas à toi
carabosse de l’hôpital public
sirène hurlant sur fauteuil à roulettes
on te raconte des sornettes
des contes et décomptes
papiers ordonnances pilules
ça pullule
des contes et des comptes
qui ne tiennent pas la route dans
ton décompte d’heures ton compte à rebours
on ne te la fait pas
tu sais lire dans les plis
les lignes endormies
contes de fées écornées
relieur cédée pliure écrasée
ta vie

(…)

dans le déssouvenir
territoire de l’errance dont tu n’as plus la carte
géomètre de l’invisible
sur l’indicible route
tu tiens en bloc pour ne pas fuir
entièrement
tu sens que ça coule entre les jambes
ce que tu ne peux retenir
ça prend l’eau de toute part
et les mots stagnent eux
parole murée dans ton corps qui s’écoule
tu te replies mutique en ton radeau
pétrifiée
musée du silence
à clé perdue

( …)

appelez-moi n’importe
dis-tu à qui veut l’entendre
n’importe qui n’importe quand
n’importe où tu balances tes pas
en terrain clos sur des lignes fixes
tu es terre à terre
tu es vent à vent
tout te passe au travers
n’importe
tu pousses ton charriot déambules
dans ta bulle de mémoire
savon chèvrefeuille
sur odeur de javel délavée
tu pousses ton haleine d’enfance
embaume ce qu’il reste de sucre
à saupoudrer ici

(…)

Maud Thiria, Des errantes, Éditions LansKine, 2024 (parution le 9 avril), 64 p., 14€