Poesibao propose ici un texte inédit de Laurent Grisel, qui fait partie d’un ensemble intitulé « Odes aux oiseaux »
Ode aux sauveurs d’hirondelles
je parle si peu j’aime vous écouter les amis
entre grande maison et grange ouverte, entre
herbes et toits et ciels, nous regardions, Jean-Louis
le grand volume, le terrain de jeu des hirondelles –
elles voltigeuses vives hvit ! hvit !
– hvittent, ont hvitté, hvitteront
– hviitant d’enthousiasme –
et qui ont l’art
de se croiser
sans se heurter –
une ouverture devant soi, un couloir élargi
aux inflexions, aux virages
possibles, ajusté dans l’instant aux
non-collisions –
l’instant insécable existe
leurs évitements le prouvent
vie collective, virevoltes qui dessinent
un espace grand aux limites mobiles
non définies
nids, berceaux d’angle
alignés
quatre ou cinq becs jaunes grands ouverts
hvitt ! hvitt !!
les oisillons, faim, faim, l’avenir
– et pour leur premier vol la mère en vol dispose
un insecte à portée de bec, les pulli
tendent le cou, tombent
volent
ici, dans cette cour dis-tu l’une d’entre elles
par grande chaleur
d’un de ces nouveaux printemps affreusement chauds
descendit
mollement
vers le perron
(une chute retenue
une réticence à atterrir)
– in extremis tu l’as prise dans tes mains
paumes bord à bord, pouces joints formant
coupelle, coque, un nid mi-clos
de la main gauche alors la saisir, aller
boire, garder l’eau en bouche, monter
l’épuisée aux yeux, ventre et visage vers toi
et comme tes maîtres peintres te l’ont appris –
à souffler vapeur de couleur sur toile –
et comme dans les grottes les humains très anciens le firent –
par pulvérisation-souffle des deux joues
produire main négative sur paroi –
tu l’as aspergée d’une vive brume d’eau
un nuage de gouttelettes
au bec
à la face aux yeux aux plumes
oui, elle a secoué la tête, elle
s’est renvolée
toi dans ta cuisine, Fred, grande, lumineuse, une hirondelle
entra par la fenêtre ouverte trop loin trop vite
se cogna aux murs, sang partout
tu l’attrapas, la retins –
paumes bord à bord, pouces joints –
sensations de battements de cœur affolé
bientôt calmé
debout sur tes deux longues & fines guiboles
tu ouvris, la lança
vers le haut
quelques minutes après sortant de là, leurs cris, leurs appels
vitt ! tsi di dit !! hvitt ! hviiitt !! – au-dessus de toi, un carrousel : les hirondelles
et plus tard, longtemps, chaque fois que tu passais dans la cour
leur ronde à nouveau
comme une couronne
vous deux, Fred, Jean-Louis, amitiés
à distance – intriquées – combien, innombrables
par même geste des mains en cage mi-close
au même instant dans l’univers lancent, libèrent
dans des espaces analogues
et quel espace unique, plus grand encore –
aux frontières mouvantes non définies –
forment ensemble ces composés d’instants
imprévisibles, ces
un-seul-espace qu’on voit
levant les yeux
dans quelle
lumière unique
sauver les ailées il faut car si
tombent, si brisées, cassées – ne se renvolent
bientôt raides seront
bientôt mortes seront
mais la mort est subtile
– même plusieurs minutes après
de silence complet, si
massage cardiaque, si
retour forcé de l’oxygène alors l’activité
chimique puis électrique
des neurones
reprend
anima âme esprit
réanima
un valeureux même sait faire massage
cardiaque et bouche à bec
– on l’a vu, on l’a filmé (qui tenait
la caméra ?) – oiseau sur le dos, donner
de brefs coups sur la poitrine
quand les mouvements reviennent, l’éventer
avec un cahier, un journal, quoi
que vous ayez sous la main
elle
s’ébouriffera, elle
se renvolera
sur les routes des migratrices
aux grandes chaleurs, sur les continents non-glacés
des centaines de milliers de fois
un nombre non compté de fois leur possible mort
connue
par cœur battant
hvitt ! tsihtsiviitt !!
Laurent Grisel
Présentation du texte par Laurent Grisel :
Ce texte fait partie d’un ensemble, Odes aux oiseaux. Il y en a quatre :
– « aux saccades » -i. e. aux poules – j’y travaille encore ;
– « aux oiseaux déshydratés tombés du ciel par terre » – publié dans le n° 23 (juin 2023) de la revue Sarrazine – traduit en anglais (U.S.) par Dennis Nurkse et publié en juillet 2023 sur le site de Four Way Books ;
– « aux sauveurs d’hirondelles » – le présent texte ;
– « aux A.G. » – qui vient d’être publié sur le site de la revue Catastrophes :
– « Aux saccades » je le publierai peut-être sur remue.net, le moment venu.
L’idée est de proposer ces zodes à un éditeur d’ici quelques mois.
L.G.