Jennifer Grousselas, « Fixation d’un vertige », lu par France Burghelle Rey (III, 5, notes de lecture)


France Burghelle Rey nous met la langue intense et superbe de Jennifer Grousselas à la bouche, langue intense et beauté ouverte…


Sélectionné pour le prix « Ganzo révélation », ce beau recueil de Jennifer Grousselas au titre rimbaldien (elle qui a déjà reçu le prix Yvan Goll 2024 avec Il nous fallait un chant) peut se définir comme la quête de toute humanité dans un chant où sans cesse renaissent les principes vitaux. Trois parties nous entraînent dans ce cycle : « Fugue », « Cycles » et « Geste ». De la vie à la mort, de l’espoir au doute, de la force à la faiblesse, un mouvement héraclitéen nous emporte quand un bégaiement peut alors définir, dès le début, un travail sur le son :

Surtout ne pas
(je)

Surtout ne pas
le

dé-
couvrir.

Coeur-crocus…

sous neige-sang
sous neige-sous
sans nous

sans

Le « vertige », plus loin, sera-t-il la solution entre les deux pôles ?
Une langue se fait nouvelle et sort de la norme par des mots composés et néologiques, des répétitions inattendues et une syntaxe qui se décale de la syntaxe ordinaire souvent trop classique.
Un personnage apparaît plus simplement, peut-être celui annoncé par le prénom « toi », représenté par ces mots :

O magicien mon musicien
  quand leur dirons-nous
ce que sonnent ces grelots
  quand leurs dirons-nous
que ces clochettes font écho

On a toujours quelque chose à dire quand on est deux.
Puis « l’aimante louve mère » (était-ce d’un fils qu’il fallait parler ?) et la « Femme girafe » nous accompagnent dans une sorte d’épopée qui place la narratrice dans une position incertaine pour mieux se découvrir en détruisant et en aimant :

Malgré moi
J’ai choisi

un instant

arcbouté sur
l’ongle d’un dieu
penché sur le haut de la voussure
d’un monde

Je vois le peuple des anciens moi

Le champ lexical se fait privatif au moyen d’allitérations qui martèlent le rythme : « la déviation l’impasse » – « éternité fracturée » – « mur mortel » mais l’identité se précise en accord avec le dieu et une fin infinie.
Puis une écriture plus ample et sans doute plus facilement accessible va caractériser la dernière partie :

Parle-leur aussi des oreilles coupées
des mains coupées
du chœur de tous nos membres prométhéens
de la promesse volcan du voleur envolée…

parle-leur la langue infra-humaine
l’inouïe la seule violence pure
la nudité de la lutte sans bien
la justice absente sans mal
sa dure beauté crue

Cette écriture va également s’exprimer en prose comme pour un soulagement que certains mots décrivent : soulagée – miracle – conservation – grâce – résorbée. 

On peut dire que ces variations participent à coup sûr du vertige éponyme.

J’invite le lecteur à poursuivre sa lecture jusqu’à la toute fin du volume qui réserve d’autres surprises passionnantes. D’un style fluide, elle nous fait découvrir dans un « chant imparfait », avec l’autre ou le même, d’autres mots et d’autres mondes.

France Burghelle Rey

Jennifer Grousselas, Fixation d’un vertige, Les éditions Sans Escale, 2025, 80 p., 15 €