François Béchu, “Des nouvelles de Milo”, lu par Jean-Claude Leroy


Jean-Claude Leroy explore ce livre de François Béchu, “écriture d’un regard attentif aux infimes mouvements des êtres vivants”


 

François Béchu, Des nouvelles de Milo, éditions 5 sens, 118 p., 2023, 13 €.


« Le monde est un désert de solitudes… Retournons-nous ! » [p. 29]

C’est l’écriture d’un regard attentif aux détails du paysage, aux infimes mouvements des êtres vivants, une écriture qui précise tout en prêtant une intention aux choses, comme transcendées par la contemplation de celui qui se réjouit d’être témoin, d’être là, en vie.
« Le silence avait du dehors un nouveau monde, où pris d’ivresse, il avança.
Il cherchait un toit, un ciel…
C’est lui qui voit !
C’est lui qui voit !
» [p.12]

Milo est le témoin, le personnage existentiel, on le voit dans ce qu’il éprouve, dans ce qu’il pense. Il paraît un rien perdu dans sa destinée, comme nous le sommes tous, sans doute, mais lui ne fait guère semblant d’être d’aplomb, c’est son charme, son innocence.

Bien sûr, Milo est aussi l’auteur à la troisième personne, on le reconnaît à son air moitié ingénu, moitié entendu, il est celui qui penche vers les livres, qui sent les beautés du monde et qui aussi s’en étonne. Et s’étonne un peu de s’en étonner, ou du moins veut-il le faire croire. En tout cas, c’est un jeu subtil et enrobant que ce voyage avec lui, dans une tonalité qu’on ne rencontre pas ailleurs, qui peut rappeler peut-être un certain Pinget ou un certain Ionesco, on ne saurait dire. Tant mieux.

« Que fait-on des bêtes euthanasiées ? Finissent-elles dans la chaux ou dans un four ?
Que fait-on alors des restes, des cendres ?
Il n’imaginait pas de réponses.
À la radio quelqu’un évoquait l’histoire d’un poète qui avait fait le vœu que ses cendres soient réparties en différents sabliers. Ils seraient à remettre à ses amis…
Milo vit un sablier.
Comme un os debout ! » [p. 24]

Milo s’observe en train de « poétiser », en train de proposer des mots nouveaux pour d’autres adéquations : « emplat », s’aniller », « moroban » Un curieux décollement de la rétine qui installerait un relief particulier entre soi et soi, une mise en abyme, un écho à la solitude bavardement silencieuse d’un homme qui manque d’interlocuteur ou qui a choisi de s’en passer. Ne sachant trop que faire de ce trop-plein d’émotion, il parle tout seul, s’adresse à lui-même, se met à toutes les places, si bien que ce livre est un recueil de moments sensibles, presque tremblés, un suivi musical de l’homme détaché du monde à force d’en trop recevoir, d’y être trop pris. Le lecteur accompagne Milo, prenant garde de ne pas se briser, il l’accompagne dans ses visites à sa très vieille maman, par exemple. Une maman centenaire occupée à tisser ses mains à tâtons, à froisser et défroisser « ses poignets de papier ». Elle dit que « c’est pour offrir », mais sont-ce des vraies fleurs ? Milo envisage la table familiale où sont réunis « les vivants et les morts, pour un repas de fête, calme comme jamais, défané » [p. 90.]

« Dans la vie, Milo serait une sole au fond de l’eau. De celles qui, longtemps inertes, finissent par n’exister que lorsqu’elles quittent leur place, et c’est par leurs propres ombres qui demeurent pour toujours à la surface des cailloux. » [p. 51-52]

Trente-six séquences sensibles font un roman impressionniste de ce recueil bien ajusté à l’intimité d’une vie racontée à soi-même, comme on le ferait certains soirs d’insomnie mélancolique, avec un goût de vivre qui ne se dément pas, sachant attraper le détail qui compte et suffit à consoler des tristesses.
Milo, alias François Béchu, nous donne ainsi de ses nouvelles, on le sent un rien recourbé sur lui-même, et pourtant son regard nous atteint.

Jean-Claude Leroy


François Béchu, Des nouvelles de Milo, éditions 5 sens, 118 p., 2023, 13 €.


Sur le site de l’éditeur : Homme de théâtre, François Béchu publie entre autres : « Un chemin de passeurs » (Siloë), préface Jean Lacouture. « Mendel Schainfeld, le deuxième voyage à Munich » (Tirésias). « La Robe d’amitié », d’après la vie et l’œuvre de Germaine Tillion (Tituli), préface Tzvetan Todorov. Des petites proses poétiques : revue Europe, chez Tarabuste (16 textes dans la revue Triages) et dans la revue Brèves.