Etienne Faure, “Séries parisiennes”, lu par Myrto Gondicas


Myrto Gondicas promène ici le lecteur de Poesibao à travers les différentes séries parisiennes de ce livre signé Etienne Faure.


 

Étienne Faure, Séries parisiennes, Paris, Gallimard, 2024, (en librairie le 27 juin), 156 p., 17€


Bien que la série ne soit pas une inconnue en littérature, on y associerait plus volontiers les arts plastiques, peinture et, surtout, photographie. Voici donc, distribués en seize rubriques (côté Seine, côté rue, etc.) à six unités la plupart du temps, mais parfois plus, une riche moisson d’instantanés à la façon d’Étienne Faure ; il faudrait plutôt dire « ses façons », car la matière est diverse : le lecteur fidèle connaissait vers (surtout) et prose (apparue plus tard), il les trouve ici pour la première fois côte à côte, induisant subrepticement des types de lecture différenciés.

Le plein air prédomine, arpenté par un piéton espiègle et mélancolique ; la prose aussi, phrase lancée souvent par des circonstancielles et tendue vers sa fin, qui fait de nous en quelques lignes des voyageurs de l’espace ou du temps :

Comme un rire après l’anecdote, ébouriffés les oiseaux ont repris leur dialogue où la pluie tout à l’heure les avait surpris, mais plus rythmé, en cela reprenant du concert de l’averse un triolet, deux croches et cette anomalie du son de guingois — grave, aigu — selon que l’eau s’abat sur la feuille ou l’asphalte, en tous les cas la pluie tombant très à propos pour la métaphysique du débat, sitôt sec, éclairci. (débats d’après la pluie) (p.112)

Trois rubriques seulement sont d’intérieur : côté bar (un intérieur partagé, public) ; côté chambre (l’intime des amours, six pièces assez longues, qui — à la différence de celles en prose —remplissent la page) et côté cage (sous-titré « dix-sept haïkus dans l’ascenseur » ; le mètre plus court et claudiquant donne comme un écho narquois au lyrisme de la partie précédente). De l’une à l’autre l’espace se restreint ; on est là au milieu du recueil, comme dans le col d’un sablier.

On peut alors sentir une différence d’allure (et d’allant) entre proses et vers : les premières, privées d’aller à la ligne, déroulent presque impitoyablement leur vision, recourant à la variété de la syntaxe et des registres, à des inversions dynamiques, jusqu’au point final que suit traditionnellement (pour E. F.) le titre ; les seconds ont plus de souplesse, quand un vers rebondit sur le précédent, les enjambements installant des quasi-silences dans la diction, mais avec toujours cette même sûreté qui pousse la phrase en avant. Parfois, une accélération arrive par un seul mot mis en incise, et valant une phrase ou une circonstancielle :

(…) l’aurore en juin en auréole imprègne assez vite le ciel puis l’éclaire — aura —, (…) (mélancolie)

(…) le voilà qui déroge à son empire (…), à se souvenir du trajet du soleil rue du Chemin-Vert, ses rayons d’antan, l’été les fuir pour le simulacre, et parcourir le tour du cadran jusqu’où l’ombre du campanile — gong — frappe son crâne (retour à ses pénates).

Le jeu de mots lui-même n’est pas absent, qui rapproche banc de bancal (le dimanche à demeure) ou de langue de bois (le banc parle) ; voire, plus trivialement, qualifie une cycliste de la mieux roulée (séance plénière sous les platanes). Ces ébattements du son et du sens allument de petits feux dans la phrase sans l’alourdir ; la poésie d’Étienne Faure s’en nourrit.

Tel un au revoir, l’avant-dernière rubrique, côté voix, regroupe des pièces consacrées à des poètes, hommages plus ou moins mimétiques : Follain ; Guillevic (poème de pierre / serré et tendu) ; Jacques Réda (à qui est fait d’emblée hommage d’un alexandrin augmenté : À la terrasse d’un café qui fait pompe à essence) ; Jude Stéfan, Guy Goffette, Jacques Vaché.

La dernière série offre un titre sous forme d’énigme (côté H), bientôt éclaircie dans l’incipit de la première pièce : Les Humbles champs d’Honneur de l’Histoire Humaine (…). On se souviendra ici que la poésie d’Étienne Faure est depuis longtemps traversée par des morts d’antan, communards ou poilus, avec le rôle usuel réservé aux pauvres (1), évoqués à travers des gestes ou des objets simples, et auxquels le lie une tendresse sans mièvrerie.

Comme on le lit dans via les branches :

(…) pour combler l’absence des morts nous nous laissons pousser des branches, des écrits.

Myrto Gondicas

[1] Légèrement frôlée