À l’occasion de la parution du « Quarto » consacré à O.V. de L. Milosz, rencontre avec Olivier Piveteau.
Introduction
O.V.de L. Milosz (Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz) semble beaucoup moins connu que son homonyme et cousin Czeslaw Milosz, mais c’est un très grand poète, intégré déjà par Pierre Seghers dans son Livre d’or de la Poésie Française.
Ce fut donc une superbe surprise de voir paraître, dans la collection Quarto Gallimard, ce fort volume, 1280 pages et 203 documents, édition présentée et annotée par Christophe Langlois et Olivier Piveteau. Après avoir entendu ce dernier parler de l’écrivain Oscar Milosz lors d’une passionnante rencontre à la librairie Les Volontaires à Paris, le 6 octobre 2024, j’ai souhaité mener un entretien avec lui, afin d’en savoir plus sur le poète, son œuvre et le parcours éditorial de cette dernière.
F.T.
Entretien
Florence Trocmé : Pouvez-vous dans un premier temps vous présenter aux lecteurs de Poesibao, nous parler de votre parcours et surtout de votre rencontre avec Oscar Milosz ?
Olivier Piveteau : J’ai eu la chance de vivre une magnifique initiation à l’œuvre de Milosz. J’avais vingt et un ans, je m’interrogeais sur le choix de l’écrivain français auquel je devrais consacrer bientôt un mémoire de maîtrise à la Sorbonne. Et voici que de manière inattendue une personne chez qui j’étais de passage me met entre les mains l’œuvre sans doute la plus connue de Milosz en dehors de ses poèmes eux-mêmes : Miguel Mañara, son premier poème dramatique ou « mystère » (1913). Milosz était alors quasiment un inconnu pour moi, en dehors de quelques citations entrevues chez Gaston Bachelard. Dès les premières pages, je suis ébloui et j’ai le sentiment à la fois étrange et exaltant de me trouver face à une écriture qui n’a pour moi aucun équivalent. Après cette révélation, très vite je me suis mis à explorer et étudier les textes de cet auteur. Tout au long de ma carrière d’enseignant, je dois avouer que – sans doute par peur de ne pas savoir partager mon enthousiasme avec les élèves – j’ai très rarement osé l’aborder. En revanche, j’ai consacré à Oscar Milosz pour ainsi dire la moitié de mes recherches en tant que spécialiste de littérature comparée, l’autre moitié étant consacrée à des thématiques hispaniques.
F.T. : Pouvez-vous nous présenter l’homme et l’écrivain O.V. de L. Milosz ? En particulier ses origines, complexes. Quand et où est-il né ? Quand et où est-il mort ? Dans quelle langue écrivit-il et quelle était sa nationalité ? Quelles furent ses fonctions dans l’existence ? Et en particulier par rapport à la Lituanie.
O.P.: C’est peu de dire que la question des origines chez Milosz est complexe. Elle l’a aussi toujours passionné, que ce soit en ce qui concerne l’origine des langues, des peuples, de l’humanité elle-même. Il aimait à rappeler la légende familiale qui situait mille ans plus tôt le berceau de sa lignée paternelle en Lusace, contrée slave aux confins des états germaniques, de la Pologne et de la Bohême. Il revendiquait l’ancrage de sa branche de la lignée des Lubicz, pendant cinq siècles, du XIIIe au XVIIIe siècle, au cœur de ce qui est aujourd’hui la République de Lituanie, au nord de Kaunas, dans cette même vallée de la Nevėžis où son lointain cousin, et aussi fils spirituel, Czeslaw Milosz, situe l’action de son roman autobiographique Sur les bords de l’Issa (1955). Après l’annexion de cette partie de la Lituanie par l’empire des Tsars, l’arrière-grand-père du poète, Joseph Milosz, s’est installé plus à l’est au début du XIXe siècle et il est entré en possession d’immenses domaines, dont celui de Czereïa, où est né Milosz en 1877, dans un territoire autrefois partie intégrante du grand-duché de Lituanie, aujourd’hui en Biélorussie.
Son arbre généalogique n’est cependant pas uniquement celui d’un noble polono-lituanien. Son grand-père Arthur Milosz, officier valeureux qu’il considérait comme un héros, avait épousé une cantatrice milanaise. Quant à son père Vladislas, auquel Oscar doit son deuxième prénom, il avait engendré l’enfant avec une jeune juive polonaise pauvre, qu’il n’épousa que bien plus tard, durant l’adolescence du poète. Par cette alliance décriée dans leur milieu, Oscar Vladislas Milosz était, comme il le dit lui-même, « vrai Fils du Peuple Élu », ce qui était pour lui semble-t-il autant un sujet de répulsion que de fascination – comme en témoignent sa maîtrise de la langue hébraïque et la part considérable que prend la Bible dans son inspiration et dans sa quête spirituelle.
Arrivé en France dès l’âge de douze ans, c’est à Paris qu’il a passé l’essentiel de son existence, si l’on excepte une parenthèse de plus de trois ans à Czereïa au début du XXe siècle et ses nombreux voyages d’héritier fortuné, de dandy cosmopolite ou de diplomate. Même s’il avait pour langue maternelle le polonais, il était né sujet du tsar et il a conservé son passeport russe jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Son attachement signalé plus haut pour les origines lituaniennes des Milosz et sa découverte durant la Grande Guerre d’un mouvement de libération nationale lui font opter pour la nationalité lituanienne au sortir du conflit. Sa ferveur patriote, ses dons de polyglotte et son entregent le désignent assez vite comme la personne idéale pour défendre les intérêts du jeune État lituanien en quête de reconnaissance internationale. Même s’il a obtenu d’être déchargé dès 1925 de sa fonction de premier représentant en France d’un pays dont il ne maîtrisait pas du tout la langue, il est resté jusqu’à la fin dévoué à la Lituanie, tant dans ses écrits que par son action diplomatique, ce qui lui vaut encore aujourd’hui une solide reconnaissance officielle dans ce pays.
Ayant fait cependant toutes ses études en France et ayant vécu presque toute sa vie à Paris, Milosz est resté viscéralement attaché à cette deuxième patrie et il a obtenu en 1931 la nationalité française. S’il partage avec plusieurs écrivains originaires d’Europe centrale ou orientale certains traits qui inclinent à classer les auteurs parmi les écrivains francophones ou d’expression française, il n’en demeure pas moins avant tout un écrivain français, ayant publié toutes ses œuvres en français, ayant traduit admirablement en français de nombreux textes anglais, allemands, polonais ou russes, et faisant montre d’une maîtrise exceptionnelle de notre langue – y compris dans ses formes anciennes, lui qui pastichait si bien la poésie et la prose médiévales.
C’est aussi dans notre pays qu’il a choisi de reposer, plus précisément à Fontainebleau, dont la ville, la forêt et le parc du château étaient devenus sa destination préférée. C’est là qu’il s’est éteint en mars 1939, à quelques mois d’un conflit dont il ne cessait de prophétiser la déflagration apocalyptique. On ne devine que trop, au reste, quelle issue tragique auraient pu lui valoir ses origines juives, s’il n’avait été emporté prématurément par une embolie dans sa soixante-deuxième année.
F.T. : Quelles furent les grandes phases de l’activité de Milosz écrivain ? Il semblerait qu’elle ait sensiblement changé d’orientation après ses débuts plutôt marqués par le symbolisme et une possible influence de Baudelaire ou de Mallarmé ? Vers une visée plus mystique, notamment ?
Il fut aussi un écrivain très complet. Pouvez-vous nous dire dans quels domaines se situent ses œuvres ? En nous donnant peut-être pour chaque domaine un ou deux titre(s) d’œuvres emblématiques ?
O.P. :Pour mettre en perspective l’œuvre d’Oscar Milosz, nous disposons d’un repère essentiel, à savoir la date du 14 décembre 1914. Il avait alors trente-sept ans. Cette nuit-là Milosz a raconté avoir vécu une expérience mystique et avoir vu « le Soleil spirituel ». Ce premier aboutissement de sa recherche de longue haleine sur le plan spirituel est aussi pour lui un bouleversement qui n’est pas sans conséquences sur son travail d’écrivain. « J’ai vu. Celui qui a vu cesse de penser et de sentir. Il ne sait plus que décrire ce qu’il a vu » (« Cantique de la Connaissance », 1922). Même si la rupture n’est pas brutale dans son écriture, il y a donc chez Milosz un avant et un après 1914, d’autant plus que le début de la Première Guerre mondiale va signifier le tarissement puis la dépossession définitive de ses capitaux russes. Milosz est ruiné et va donc être contraint de rechercher un emploi salarié : c’est aussi l’une des raisons de son entrée dans la carrière diplomatique.
Chronologiquement ses premières productions sont des recueils de poèmes : Le Poème des Décadences (1899), Les Sept Solitudes (1906) et Les Éléments (1911), que complètent ses traductions de poètes allemands et anglais (Chefs d’œuvre lyriques du Nord, 1911). Dès 1910, il avait publié aussi un extraordinaire roman, qu’il situe pour l’essentiel dans la Venise crépusculaire de la fin du XVIIIe siècle : L’Amoureuse Initiation. Après avoir subrepticement intégré un texte de théâtre dans son second recueil (Scènes de Don Juan), il revient à l’écriture dramatique sous forme d’une trilogie mettant en scène, disons-le ainsi pour simplifier, des épisodes de conversion : celui d’une figure donjuanesque du XVIIe siècle (Miguel Mañara, 1913), l’adultère de David et Bethsabée (Méphiboseth, 1914) et la conversion de saint Paul (Saul de Tarse, posthume, terminé en 1914).
Après sa propre illumination mystique de 1914, nous le revoyons revenir à l’écriture de poèmes : une anthologie, Poèmes, publiée par Figuière en 1915 ; une mince plaquette, Adramandoni, en 1918 ; un recueil intitulé La Confession de Lemuel en 1922. Ce sont des années moins productives, incontestablement, au cours desquelles son énergie et son temps sont mobilisés par ses fonctions diplomatiques. Il livre cependant en 1924 le fruit de son expérience visionnaire, Ars Magna, qu’il considère comme son testament spirituel, que viendra compléter cependant en 1927 un vaste essai métaphysique où se déploie sa culture encyclopédique : Les Arcanes. Opérant une nouvelle sélection de ses poèmes, publiée par Fourcade en 1929, il se consacre désormais à la transcription de contes lituaniens (deux tomes en 1930 et 1933), à l’exploration de la Bible et à des recherches sur les origines des langues européennes, en particulier les liens entre celles de la péninsule ibérique, le lituanien et l’hébreu. Après dix ans de silence poétique, il publie un dernier poème en 1937, « Psaume de l’Étoile du Matin », sorte de quintessence de quarante années de quête poétique et spirituelle.
F.T. : Je le disais en ouverture de cet entretien, ce fut une très belle surprise que de voir paraître ce généreux Quarto consacré à des œuvres d’Oscar Milosz. Pouvez-vous évoquer l’histoire éditoriale d’Oscar Milosz en France ?
O. P. : Pour Christophe Langlois et moi-même, l’élaboration d’une telle réédition a semblé être parfois un rêve éveillé ; elle nous apparaît encore quelque peu miraculeuse, au regard de l’histoire éditoriale tourmentée d’un écrivain que l’on peut considérer depuis son premier recueil, il y a cent vingt-cinq ans, comme injustement et inexplicablement méconnu. Que ce soit du temps de sa jeunesse fortunée ou lors de l’existence précaire qu’il a menée après la confiscation de ses avoirs par la révolution bolchevique, les textes de Milosz ont presque toujours été publiés à compte d’auteur, quelquefois grâce à la générosité discrète de quelques amis. Le seul éditeur qui l’ait publié à compte d’éditeur en 1929 et 1930 est Jacques-Olivier Fourcade. À la mort de Milosz, très peu de ses œuvres étaient encore disponibles. Ses proches, réunis dans une première association des Amis de Milosz, ont entrepris d’éditer ses œuvres complètes, mais se sont vite déchirés autour de ce projet. Reprise à la fin de la Deuxième Guerre mondiale par un éditeur suisse, Walter Egloff, cette entreprise est demeurée inachevée. Mais le poète défunt a eu la chance extraordinaire qu’un jeune poète et libraire, André Silvaire, se mue en éditeur, rachète le stock d’Egloff et décide de consacrer toute son énergie à parachever la collection des œuvres complètes, qui compte depuis 1990 treize volumes. Après la mort de Silvaire cependant, la diffusion de cette magnifique édition de référence est devenue quasiment inexistante. L’œuvre, devenue presque introuvable, semblait en voie de disparition. C’est en cela que l’avis favorable manifesté par Aude Cirier, directrice de la collection Quarto, et par Antoine Gallimard pour un projet de réédition des textes de Milosz a constitué une divine surprise.
F.T. : Comment avez-vous procédé pour l’édition de ce livre, travail mené avec Christophe Langlois ? S’agit-il d’une intégrale ? Avez-vous procédé de manière chronologique ? À quelles sources avez-vous pu accéder ? Tout était-il déjà connu et disponible ou bien avez-vous fait des découvertes ?
O.P. : Comme vous l’avez dit plus haut, l’une des caractéristiques de la collection Quarto est de proposer des volumes généreux. Mais en dépit de ses 1280 pages, ce livre n’aurait pu contenir la totalité des œuvres de Milosz. Il nous a donc fallu faire des choix. Nous avons sacrifié les textes d’adolescence de Milosz (ce que l’on appelle Le Cahier déchiré) et un roman qui nous est parvenu sous forme fragmentaire, Les Zborowski, dont nous ne publions que quelques extraits. La correspondance diplomatique a été écartée et la correspondance privée limitée à une sélection d’une quarantaine de lettres. Nous avons renoncé à la plupart des essais et des traductions de Milosz. La priorité a été en revanche accordée aux poèmes, quasiment tous présents, de même que son théâtre (ses quatre pièces figurent dans le volume). Son roman, L’Amoureuse Initiation a été bien évidemment intégré ainsi que la totalité de ses contes lituaniens. Nous avons dû écarter ses écrits exégétiques des années trente mais nous avons maintenu les deux grands textes métaphysiques publiés dans les années vingt. Il aurait été possible et plus simple de classer les œuvres retenues par genres, mais le lecteur aurait distingué plus malaisément le mouvement ascensionnel très particulier qui caractérise à la fois la quête spirituelle et la production littéraire de Milosz. L’ouvrage offre donc une perspective chronologique très marquée, sans toutefois respecter rigoureusement l’ordre temporel des publications.
F.T. : Vous êtes aussi membre actif et président de l’association « Les amis de Milosz » ? Pouvez-vous nous dire un mot de cette association et de ses activités ?
O.P. : J’y ai déjà fait allusion tout à l’heure, une première association d’amis de Milosz, au sens propre du terme, a été fondée un mois après sa mort, mais n’a pas survécu aux dissensions entre ses membres. C’est à André Silvaire, l’éditeur de Milosz, que l’on doit d’avoir réuni autour de lui tous les amis survivants et les admirateurs du poète, en créant une nouvelle association en 1966. Leur objectif était de réunir tous les textes encore inédits, de rassembler les objets ayant appartenu au poète – avec l’idée de créer peut-être un jour un musée qui lui soit consacré – et de contribuer à la diffusion et au rayonnement de son œuvre. Depuis, les proches de Milosz et les membres fondateurs de l’association ont disparu, la plupart des inédits ont été rassemblés et publiés, l’édition des œuvres complètes est achevée. Mais, près de soixante ans après sa création, l’association continue de réunir les admirateurs de Milosz, notamment lors d’un rendez-vous à Fontainebleau, chaque année à la fin du printemps ; elle se donne toujours pour mission de permettre au plus grand nombre de le découvrir, et communique pour cela par une revue (Cahiers des Amis de Milosz), par une lettre d’information, sur les réseaux sociaux et par l’organisation d’événements. Après un colloque à Paris en 2017, dont les actes sont parus en 2019, et la réédition de la plupart de ses œuvres dans la collection Quarto, le nouveau défi de l’association est de préparer le 150e anniversaire de la naissance de Milosz, en 2027 !
F.T. : Quels conseils de lecture pourriez-vous donner aux lecteurs qui abordent ce volume quelque peu intimidant ? Qui, je le précise, comporte deux textes-guides éclairants, la préface de Christophe Langlois « Milosz, roi solitaire », ainsi que votre propre introduction : « Vie et œuvre illustré ».
O. P. : À ceux qui découvrent cet écrivain, on ne peut que recommander en effet de s’attarder sur la préface, sur la chronologie de la vie de Milosz, mais aussi sur les courtes notices de présentation qui précèdent chaque bloc du volume. Mises bout à bout, ces dernières constituent à mon sens une troisième entrée biographique très précieuse dans l’univers de l’écrivain. Si l’on se demande ensuite quelle œuvre lire en premier parmi les nombreux textes mis à disposition des lecteurs dans ce volume de 1280 pages, je suggère habituellement de lire d’abord la section « Symphonies » dans le recueil Poésies de 1915 et le bref recueil Adramandoni de 1918, où se concentrent à mon avis les plus beaux poèmes lyriques de Milosz. Je recommande aussi de lire Miguel Mañara, qui est reconnu comme l’un de ses chefs d’œuvre. Après cette initiation, le lecteur devrait savoir vers quels autres genres il souhaite se tourner. À ceux qui connaissent bien l’œuvre de Milosz, qui sont familiers de l’édition d’André Silvaire et peut-être décontenancés par l’ordonnancement du Quarto, je suggère de lire la note préalable sur la présente édition, où sont expliqués les choix parfois complexes que nous avons été amenés à faire pour organiser le matériau de cette œuvre. Enfin à ceux qui désespèrent de retrouver tel ou tel poème aimé, je signale la présence à la fin du volume d’une liste alphabétique de tous les textes inclus dans l’édition Quarto et de la page où ils figurent, y compris pour chaque titre de poème.
F.T. : Je note sur le bulletin d’adhésion aux Amis de Milosz ce titre préambule à une courte présentation de Milosz : « Avant tout, un poète ». Au terme de notre entretien, pouvez-vous nous dire pourquoi cette assertion et définir peut-être en quelques mots les grandes caractéristiques du style poétique de Milosz (dont les lecteurs pourront retrouver quelques extraits dans l’anthologie permanente de ce numéro 2 de Poesibao III)
O. P. : La lecture de la correspondance de Milosz ne laisse aucun doute à ce sujet : quand il parle de lui-même, il se présente avant tout comme un poète. On peut aussi supposer que dans l’avenir la postérité retiendra d’abord de lui qu’il était un poète. Le critique Jean Bellemin-Noël, l’un de ceux qui l’ont le plus étudié, disait de lui qu’il était trois poètes en un. Un poète lyrique, l’un des plus authentiques et déchirants qui soient – c’est Paul Valéry qui lui a écrit un jour qu’il n’avait jamais vu de texte « si proche de l’être même». Mais nous avons vu aussi qu’il est l’auteur de quatre pièces de théâtre, qu’il considérait lui-même comme des poèmes dramatiques – d’aucuns les ont jugés plus poétiques que dramatiques, voire dépourvus de théâtralité. Mais ce sont aussi de vibrants poèmes. Enfin son œuvre métaphysique a pour forme une écriture que Bellemin-Noël a qualifiée de « poésie-philosophie ». Dire d’Oscar Milosz, qu’il est « avant tout un poète », ce n’est certes pas dénigrer le reste de sa production, mais reconnaître ce dont tout lecteur peut faire le constat, à savoir que la poésie est partout dans son œuvre. Il suffit pour s’en convaincre d’ouvrir son roman L’Amoureuse Initiation, dont mainte page peut se lire ni plus ni moins comme un poème en prose.
F.T. : Un dernier mot peut-être sur la collecte patrimoniale, si c’en fut une, d’Oscar Milosz en ce qui concerne les contes de la Lituanie.
O.P. : Si Oscar Milosz a fait connaître aux lecteurs français le trésor des contes lituaniens, il a lui-même reconnu sa dette envers l’une des grandes figures de la vie politique, scientifique et culturelle lituanienne, à savoir Jonas Basanavičius. Ce dernier avait fait œuvre d’ethnographe et publié au début de XXe siècle plusieurs recueils de contes lituaniens. Milosz n’a donc pas collecté ces contes, il ne maîtrisait pas assez le lituanien pour cela. Mais il en a choisi une cinquantaine et les a retranscrits (lui-même récusait le terme de « traduction »), on peut même dire qu’il les a recréés de façon parfois très personnelle et humoristique. C’est ainsi que sont nés les Contes et fabliaux de la vieille Lithuanie (1930) et les Contes lithuaniens de ma Mère d’Oye (1933). Si l’on excepte le patient travail de déchiffrement des Écritures (notamment l’Apocalypse de saint Jean) qui l’a absorbé durant les dernières années de sa vie, on peut s’étonner que Milosz se soit consacré à ce registre du merveilleux des contes après avoir produit ces deux grands textes métaphysiques éminemment complexes que sont Ars Magna (1924) et Les Arcanes (1927). Mais, outre que ces contes, par leur origine immémoriale, semblent baigner dans la Nature Première que Milosz a voulu définir dans son œuvre métaphysique, ils ont constitué pour lui un exercice de style ludique et archaïsant, où se manifeste sa prodigieuse maîtrise de la langue française.
Décembre-janvier 2024-2025
Lire des poèmes extraits de ce recueil
O.V. de L. Milosz, Œuvres, Édition de Christophe Langlois et Olivier Piveteau. Préface de Christophe Langlois, Collection Quarto, Gallimard, 2024, 1280 p., 32€
Contenu de l’ouvrage :
Poésie
Le Poème des Décadences
Les Sept Solitudes
Les Éléments
Poèmes (Recueil Figuière)
Adramandoni
La Confession de Lemuel
Poèmes, 1895-1927 (Anthologie Fourcade)
Dix-sept poëmes de Milosz (Florilège Mirages)
Roman
L’Amoureuse Initiation
Théâtre
Miguel Mañara
Méphiboseth
Saul de Tarse
Métaphysique
Ars Magna
Les Arcanes
Contes
Contes et fabliaux de la vieille Lithuanie
Contes lithuaniens de ma Mère l’Oye
Correspondance
Préface
« Milosz, roi solitaire »
Vie & Œuvre illustré
Dossier
« Lithuanies »