Antoine Mouton, « Au nord tes parents », lu par Jean-Marc Pontier


Jean-Marc Pontier installe ici le lecteur avec Antoine Mouton à l’arrière d’une voiture qui file toujours vers un nord improbable



Antoine Mouton, Au nord tes parents – éditions La Contre-allée – 64 pages,  2024, 6,50€


L’essentiel en poésie n’est pas tant de savoir si les choses sont vraies que si elles nous chantent, ou plutôt nous enchantent. Sont-ils authentiques, les souvenirs du narrateur, cette permanente transhumance vers le Nord à l’arrière de la voiture, l’enfant subissant l’humeur des parents, un père renfrogné écraseur de chats et une mère astrologue condamnée par un cancer ? La question de la forme a vite fait de balayer nos interrogations : peu importe la vérité – Antoine Mouton est-il cet enfant de bohème ? – puisque, dans une langue simple et subtilement ciselée, il nous invite au parcours septentrional et peu importe si tout n’est que fiction puisque la musique qui émane de ce petit livre est authentique.

C’est l’histoire d’une entreprise de désenchantement. L’enfant ne demande qu’à s’émerveiller. Il fait le pari qu’existent les anges mais « les anges, c’était interdit » (p. 11). Giflé par le père pour avoir cru qu’il priait Dieu, ignoré dans sa détresse par la mère indifférente. Un apprentissage agnostique où la seule science exacte tolérée est l’étude du zodiaque. Le père refuse de s’installer et entraîne la famille dans son incessante course vers le nord. Nuits de bivouacs dans la voiture ou vie dans les campings, et pour se laver il y a les piscines municipales.
Le père, donc, roule à fond et écrase des chats. Et tandis que l’enfant pleure, la mère reste impassible : « et tu me regardais dans le petit miroir pour me dire droit dans les yeux ton père est scorpion il aime la mort ça le fascine » (p. 12). De cette mère, « à la place du mort », on ne devine que la nuque et le regard que renvoie le petit miroir du pare-soleil.
C’est un road-trip familial sans paysage qui défile, puisqu’il est clair que le plus important se passe à l’intérieur de la voiture, une relation triangulaire œdipienne racontée par l’enfant. Malgré la tension palpable, l’humour est tapi dans chaque mot, la perception enfantine déformant la réalité toponymique en géographie rêvée : le père vient du « grésil », ils vont s’arrêter à « messe », autant de malentendus qui mettent le lecteur à hauteur d’enfant. Une focalisation dénuée d’objectivité, vouée dès le début à l’étroitesse du point de vue, celui de la banquette arrière.
Dès lors, la destination, si imprécise soit-elle, devient le vrai sujet du livre : « qu’est-ce qu’il y avait au nord de si magique et de si resplendissant ? (…) est-ce que là-bas c’était le bout du monde ? » (p. 13). La fluidité des phrases épouse celle du mouvement : la voiture glisse sur la route comme cette prose segmentée sans ponctuation ni majuscules.

Réédité en 2024 chez la Contre-allée, Au nord tes parents est d’abord paru en 2004 aux éditions la Dragonne. Depuis cet opus fondateur, Antoine Mouton n’a eu de cesse de jouer avec les genres. Ses livres sont inclassables : ils ont du roman ou de la nouvelle une approche fine des personnages (comme dans son dernier ouvrage, HKZ, paru chez Ypsilon), de la poésie une langue fulgurante et parcimonieuse (Les Chevals morts, 2013).

Jean-Marc Pontier

Extraits :

« j’étais à l’arrière de la voiture et le ciel
courait derrière moi le temps avec la route
le jour la nuit les arbres
d’eux ce que je connaissais le mieux c’était
leur nuque
la mienne seuls le soleil et la lune pouvaient
la voir la réchauffer l’étreindre au travers
du pare-brise » (p. 9)

« on passe sa vie à ça reconstituer l’image d’un
amour que le destin a changé en puzzle
on en crèverait tant il en manque des pièces
et même il y en a des fausses qui ne rentrent
nulle part ne trouvent pas leur place alors
où est-ce qu’on les coince celles-là ? » (p. 41)